LE NOTAIRE DE CHANTILLY, 2 vol. in-8, 1836. — Suivant l’auteur, la société du moyen âge était tout entière en puissance du prêtre. Le prêtre mort, sa succession hiérarchique est aujourd’hui échue à plusieurs héritiers. Qui sont ces héritiers ? quels titres, quelles vertus, quelles garanties ils offrent ? quel bien et quel mal ils peuvent faire à cette société tenue par eux ? voilà la pensée que M. Léon Gozlan se propose de formuler sous le titre général des Influences, dans une série de romans dont le premier est le Notaire de Chantilly. Le notaire semble en effet le principal légataire du prêtre ; dans un temps où l’argent est tout, on n’a plus de pensées, on a des affaires ; c’est le confesseur moderne. Après le notaire viendront le médecin et l’avocat, autres héritiers de la puissance sacerdotale. — Voici le sujet du Notaire de Chantilly :
Le républicain Clavier ayant perdu pendant la révolution sa femme et ses enfants, tués par des nobles, a vengé sa famille et sa cause par l’anéantissement des meurtriers. Il n’a épargné qu’une jeune fille qu’il adopte, élève et chérit bientôt en père. Clavier est vieux, il a dicte son testament au notaire Maurice et donne tous ses biens à sa fille adoptive, à la condition qu’elle n’épousera jamais un noble. Mais l’amour n’a pas d’opinion. Déjà l’orpheline a donné en secret son cœur à une noble vendéen réfugié à Chantilly, à Édouard Calvincourt, condamné à mort pour crime de guerre civile et caché dans la maison du notaire. Édouard séduit la fille adoptive de Clavier et l’épouse de Maurice. Le père et le mari apprennent bientôt leur double honte ; le républicain provoque Édouard ; mais au moment du combat les gendarmes viennent enlever Clavier et son adversaire. Le vieux républicain trouve toutefois le moyen de dérober à l’échafaud le condamné vendéen, qui va se faire tuer au cloître Saint-Méry. Après la mort de l’amant viennent celles du père et de la jeune fille. Le notaire se ruine, mais son beau-frère s’enrichit, comme Kessner, et finit par rendre fortune, étude et femme au résigné Maurice, qui est encore époux et notaire à Chantilly. — Avec une autre ravissante figure de femme honnête, tels sont tous les principaux personnages de l’œuvre de M. Gozlan, qu’il faut lire en entier pour savoir combien il a mis d’art dans son consciencieux travail, où l’on remarque principalement un chaleureux tableau de la révolution française ; de poétiques élégies en l’honneur de la vieille société ; les luttes dramatiques de l’esprit républicain et de l’amour paternel dans le même homme, de la soumission filiale et de la rébellion d’amour dans la même vierge ; ouvrage qu’il faut lire surtout pour connaître, après Robert Macaire, tout le brigandage policé de certains agents d’affaires, et, même après Hermione, toute la sauvage jalousie d’un cœur de femme.
LES MÉANDRES, Romans et Nouvelles, 2 vol. in-8, 1837. — Les Méandres se composent de dix-sept nouvelles ou fragments, parmi lesquels nous distingueront les trois plus importants : une Visite à Bernardin de Saint-Pierre, le Traité de Madrid, et Roberto Corsini. — Dans une Visite à Bernardin de Saint-Pierre, l’auteur nous raconte une histoire arrivée à Bernardin vers les derniers jours de la république ; c’est une simple conversation entre l’auteur des Harmonies de la nature et le général Bonaparte. On ne peut rien trouver de plus simple que ce sujet, et cependant rien de plus intéressant. — Le Traité de Madrid met en présence François Ier et Charles-Quint, dont les caractères sont admirablement dessinés ; l’esprit aventureux, chevaleresque de François Ier, ressort parfaitement à côté de la nature ombrageuse et froidement ambitieuse du roi d’Espagne. — Roberto Corsini est un joueur effréné qui, après avoir perdu des sommes énormes, joue jusqu’à sa maîtresse, qu’il perd et qu’il livre au seigneur Doria, son adversaire, auquel il demande une dernière revanche. Ce dernier enjeu sera plus considérable que tous les précédents, il jouera son nom, plus illustre et plus ancien qu’aucun nom de Venise. La partie s’engage, et bientôt Corsini n’est plus Corsini. Ici commence le supplice de cet homme ; il court le monde comme un damné, mendiant un nom et repoussé partout ; le prêtre lui refuse un nouveau baptême ; le bandit refuse d’associer à ses luttes un homme qui n’a pas de nom. Après plusieurs années de douleurs, il apprend que ce Doria, qui porte aujourd’hui le nom de Corsini, est un voleur, un faussaire ; il veut demander justice contre lui, mais la justice reste sourde aux plaintes d’un homme qui n’a pas de nom. Enfin, un jour, il revient auprès de Doria, qu’il trouve à l’agonie : « Avant de mourir, lui dit-il, rends-moi mon nom ; je mourrai avec toi si tu l’exiges, mais rends-moi mon nom, par pitié ! » Doria ne répondit pas : il était mort ! Il n’était guère possible de peindre plus énergiquement les misères que l’effroyable passion du jeu traîne à sa suite, d’exprimer mieux les passions du joueur ruiné.
L’épisode du Blocus continental, la Main cachée, et Léopold Spencer, sont aussi trois petits romans pleins d’intérêt.
WASHINGTON LEVERT ET SOCRATE LEBLANC. 2 vol. in-8, 1837. — Le duc Levert est un philanthrope, qui pense que tout serait bien si l’éducation, au lieu de vicier les instincts des hommes, les combattait quelquefois et les perfectionnait toujours. Desverriers, beau-frère du duc, est un égoïste qui pense que l’humanité se perfectionnera bien d’elle-même, si elle doit se perfectionner, et qu’il n’est pas besoin qu’on s’en occupe. Entre ces deux hommes se place un troisième type, type de vanité féminine, la duchesse Levert. Au moment où l’action s’engage, il vient de naître au duc Levert un gros garçon qu’il nomme Washington, et pour célébrer cet heureux événement, il fait retirer de l’hospice des enfants trouvés un enfant déposé le même jour, enfant né dans une orgie, ainsi que l’atteste un papier déposé dans son berceau ; cet enfant reçoit le nom de Socrate. Le duc emploie pour l’éducation de son fils tous les systèmes humanitaires que chaque jour voit éclore, l’initie à tous ses projets d’améliorations, et, malgré tous ses efforts, il a peine à détourner l’esprit du jeune homme au profit exclusif de la philanthropie. Socrate, élevé dans une sphère plus inférieure, n’en réussit pas moins dans tout ce qu’il entreprend d’apprendre. Les jeunes gens correspondent entre eux. Washington écrit à Socrate avec ses idées moitié mondaines et moitié philosophiques, et Socrate répond avec l’effervescence d’un enfant solitaire, qui ne connaît d’autre monde que celui de son imagination. Alors se noue forte ment du roman, que nous ne suivrons pas dans ses détails, pour ne pas anticiper sur le plaisir du lecteur ; nous dirons seulement que Washington tue un homme en duel, parce que cet homme lui a contesté la noblesse de son blason ; comment il rencontre une jeune Anglaise qu’il séduit, et comment enfin Washington et Socrate, deux hommes destinés à être unis par le lien de l’amitié et qui ne se sont jamais vus, se rencontrent une seule fois en leur vie pour s’entr’égorger.
LES CHÂTEAUX DE FRANCE, 2 vol. in-8, 1838. — La Revue de Paris a joui la première des principaux fragments de ce livre. — Réunis en volumes, ils forment aujourd’hui un recueil essentiellement national. C’est la France de Charles VII, de François Ier, de Louis XIII et de Louis XIV, que l’auteur décrit en peignant les châteaux tels qu’ils étaient sous ces différents rois et leurs prédécesseurs. Les deux premiers volumes de ce grave et curieux ouvrage contiennent : les châteaux de Chantilly, d’Écouen, de Brunoy, de Vaux, de Villeroy et de Voisenon. La seconde livraison des Châteaux de France sera publiée dans le courant de l’année 1839.
LE MÉDECIN DU PECQ, 3 vol. in-8, 1838. — Le Médecin du Pecq est le titre de la seconde livraison des Influences, roman collectif de M. Léon Gozlan. L’auteur a tracé dans ce livre l’ascendant que le médecin a pris au milieu de nos mœurs, à côté du notaire, au détriment des autres dominations morales du temps passé. Pour faire ressortir cette influence inévitable et presque sans contre-poids, il a placé le médecin dans une maison de santé, au Pecq, où se trouvent toutes les passions et les principales maladies de l’âme. Dans sa fable, développée en trois volumes, le héros de l’histoire, le docteur du Pecq, gouverne les caractères dont il est entouré, et il ne tiendrait qu’à lui de satisfaire ses désirs d’ambition et ses passions personnelles par le seul fait de sa position souveraine. Ce livre est une ardent peinture de mœurs, une haute leçon, un ouvrage littéraire à placer à côté du Notaire de Chantilly.