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Lady Tartuffe/Acte IV

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Lady Tartuffe
Œuvres complètes de Delphine de GirardinHenri PlonTome 6 (p. 334-355).
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ACTE QUATRIÈME.


Un élégant petit salon faisant partie de l’appartement de madame de Clairmont dans l’hôtel du maréchal. — Portes latérales ; fenêtre à droite ; table des deux côtés ; canapé à gauche.

Scène I.

LA COMTESSE, puis UN DOMESTIQUE.
(Madame de Clairmont est à genoux, elle prie et s’interrompt de temps en temps pour essuyer ses larmes.)
La Comtesse.

Voilà quelqu’un !… (Elle se lève, essuie ses yeux et s’assied près de sa table à ouvrage. — Au domestique qui entre tenant des livres et des couronnes.) Léonard est-il arrivè ?

Le Domestique.

Pas encore, madame ; il ne pourra être ici avant quatre heures.

La Comtesse.

Quelle attente !… Le maréchal est-il seul ?

Le Domestique.

Non, madame.

La Comtesse à part.

Il faut absolument que je le voie.

Le Domestique.

L’enfant du maçon qui s’est tué, il y a deux ans, en tombant du toit, et que madame la comtesse a mis chez les Frères, est ici ; il demande si madame veut bien le voir un moment.

La Comtesse.

Demain ; dites-lui qu’il revienne demain.

Le Domestique.

Il apporté les trois prix qu’il vient d’obtenir ; il espère que madame la comtesse lui fera l’honneur de les accepter.

La Comtesse.

Pauvre enfant ! avec plaisir. Mettez-les là… et dites-lui qu’il vienne demain me raconter ses succès.

Le Domestique mettant les livres et les couronnes sur la table, à droite.

Ceci est un prix de bonne conduite ; il demande à madame la faveur de l’offrir à mademoiselle Jeanne…

La Comtesse.

C’est bien ; j’accepte pour elle. Vous irez à sa pension chercher ce qui lui appartient ; nous l’emmènerons à la campagne ; il y passera les vacances avec nous.

Le Domestique regardant par la fenêtre.

Ah ! les personnes qui étaient chez M. le maréchal montent en voiture ; M. le maréchal est libre.

La Comtesse.

Je descends chez lui. (Appelant.) Jeanne !

(Le domestique sort.)

Scène II.

LA COMTESSE, JEANNE.
Jeanne entrant par la droite.

Maman ?…

La Comtesse.

J’attends M. des Tourbières ; reste là. Il m’écrit qu’avant de partir il veut absolument me parler. Où va-t-il ? Fais-moi prévenir dès qu’il arrivera.

(Elle sort par la gauche.)
Jeanne.

Oui, maman.


Scène III.

JEANNE, puis DES TOURBIÈRES et UN DOMESTIQUE.
Jeanne à elle-même.

M. des Tourbières !… Ah ! je ne l’aime pas ; il me fait toujours des sermons… et puis, il a toujours l’air de se moquer de moi. C’est lui.

(Elle prend sa tapisserie et s’assied sur le canapé.)
Le Domestique introduisant M. des Tourbières.

Je vais prévenir madame la comtesse.

(Il sort par la gauche.)
Des Tourbières.

Bien !… Il n’y a pas de temps à perdre. (À part.) Libre ! je suis libre ! Elle a ses vingt mille francs ! Ma délicatesse me permet de la haïr. — Mademoiselle de Clairmont seule ! Quelle heureuse chance ! Une fille qui donne des rendez-vous la nuit et une fille parfaitement innocente peuvent bien avoir le même langage ; mais que diable ! il y a une différence dans l’accent… et rien qu’à la voir !… Faisons-la causer… je vais trouver dans sa candeur de nouvelles armes pour la défendre. (Haut.) Mademoiselle…

Jeanne.

Monsieur, maman vous attend, je vais la faire prévenir.

Des Tourbières.

Elle est déjà prévenue de mon arrivée. Vous ne subirez pas longtemps l’ennui de me tenir compagnie. (Jeanne sourit. — À part.) Elle sourit, elle ne répond rien… c’est de la franchise. Une fille qui aurait donné un rendez-vous aurait une phrase polie et menteuse pour me rassurer. (Haut.) Madame votre mère est chez M. le maréchal ?

Jeanne.

Oui, monsieur.

Des Tourbières.

L’a-t-elle vu depuis hier ?

Jeanne.

Je n’en sais rien.

Des Tourbières à part.

Elle n’est pas babillarde aujourd’hui. Saurait-elle ce qui se passe ? Non, elle est blanche et rose, elle n’est pas triste, elle a seulement l’air ennuyé parce que je suis là… c’est encore de l’innocence. La pauvrette ! il faut la taquiner. (Haut.) Mademoiselle Jeanne, est-ce que vous avez toujours vos colombes ?

Jeanne.

Toujours, monsieur ; et je ne vois pas pourquoi je ne les aurais pas, puisque maman me permet de les garder.

Des Tourbières.

C’est fâcheux ! ce sont des oiseaux dangereux.

Jeanne.

Dangereux ? On dit pour exprimer la bonté : Doux comme une colombe.

Des Tourbières.

On dit plus, on dit : Tendre, tendre comme une colombe, et c’est là le mal.

Jeanne.

Doux et tendre, c’est la même chose.

Des Tourbières à part.

Aimable témérité de l’innocence ! (Haut.) Non, mademoiselle, ce n’est pas la même chose : la douceur est une vertu, la tendresse est un crime ; témoigner de la tendresse à quelqu’un, c’est se rendre coupable.

Jeanne.

Si on ne l’aime pas, parce que c’est tromper. Mais si on l’aime bien ?…

Des Tourbières.

Plus on aime, mademoiselle, et plus c’est mal. Quand on aime beaucoup, la personne qu’on aime trop prend sur vous un empire immense ; on devient son esclave, en un mot, et bientôt on est sa victime.

Jeanne.

Oui, si la personne qu’on aime était méchante ; mais les méchants, on ne les aime jamais ; alors il n’y a pas de danger.

Des Tourbières à part.

Elle a réponse à tout. (Haut.) Il ne m’appartient pas de vous faire des sermons ; ce que je puis vous dire, c’est que si j’avais une fille, elle n’élèverait pas des colombes.

Jeanne.

Pourquoi ?

Des Tourbières.

Ces oiseaux sont d’une véhémence !

Jeanne.

C’est vrai qu’ils se battent souvent ; ils se donnent des coups de bec à tout moment ; mais on voit bien que c’est pour rire, et qu’au fond ils ne sont pas en colère.

Des Tourbières.

Parbleu !… (À part.) J’allais dire une bêtise !… Et on veut me faire croire que cette fille-là a donné des rendez-vous… allons donc ! (Haut.) Mais je pensais, mademoiselle, trouver ici M. de Renneville.

Jeanne.

Il va venir.

Des Tourbières.

C’est chose sérieuse que le mariage. Est-ce que cet engagement solennel ne vous épouvante pas, mademoiselle ?

Jeanne.

Non, monsieur.

Des Tourbières.

Vous aimez M. de Renneville ?

Jeanne.

Puisque je l’épouse.

Des Tourbières.

Ce n’est pas toujours une raison.

Jeanne.

Pour moi c’est la meilleure. Si je ne l’aimais pas, je ne l’épouserais pas ; rien ne m’y oblige.

Des Tourbières.

Vous le croyez. Madame votre mère vous a dit : Aime ! et vous aimez. C’est de l’obéissance filiale.

Jeanne.

Non vraiment ; je connais des personnes que je n’aurais jamais pu aimer… par ordre.

Des Tourbières à part.

C’est pour moi qu’elle dit cela. Elle est ravissante ! (Haut.) À vrai dire, il est charmant.

Jeanne.

N’est-ce pas ?

Des Tourbières.

Il vous aime, lui ?

Jeanne.

Pas encore, mais !…

Des Tourbières.

Et quand donc vous aimera-t-il ? où est l’obstacle ?

Jeanne.

Je ne sais pas encore ce qu’il faut être pour lui plaire, mais quand je le saurai !…

Des Tourbières solennellement.

Mademoiselle, croyez-moi, suivez le conseil d’un ami : pour lui plaire… restez ce que vous êtes.

Jeanne voyant entrer la comtesse.

Voici maman ; adieu, monsieur. Je vais voir mes colombes.

Des Tourbières.

Allez, mademoiselle, et empêchez-les de se battre

(Jeanne sort par la droite.)

Scène IV.

LA COMTESSE, DES TOURBIÈRES.
La Comtesse.

Il refuse de me voir, mais tout n’est pas dit. — Ah ! monsieur des Tourbières, vous désirez me parler ?

Des Tourbières.

Oui, madame. Je pars, je vais à Blois ; j’y serai ce soir ; mais il me faut une autorisation de vous pour visiter votre hôtel.

La Comtesse.

Quel motif ?…

Des Tourbières.

C’est une idée qui m’est venue.

La Comtesse.

Monsieur des Tourbières, je vous ai deviné ; il est inutile de jouer avec moi ce rôle que vous avez cru devoir adopter. Je sais que vous êtes un homme d’esprit ; parlez-moi votre langage. Dans quel intérêt allez-vous à Blois ?

Des Tourbières.

Dans l’intérêt de la vérité, dans le vôtre, madame.

La Comtesse.

Mais n’êtes-vous point l’allié de mademoiselle de Blossac ? ne lui êtes-vous point tout dévoué ?

Des Tourbières.

Dévoué… jamais !… engagé malgré moi ; mais, grâce au ciel, aujourd’hui je suis libre, et je puis parler.

La Comtesse.

Que savez-vous ?… Ô monsieur, ma fille ?…

Des Tourbières.

Demain, j’espère pouvoir vous éclairer ; mais d’ici là, ayez confiance en moi, donnez-moi l’autorisation que je vous demande. (Apercevant Hector qui entre.) M. de Renneville, qui vient, vous répondra de ma sincérité.


Scène V.

DES TOURBIÈRES, HECTOR, LA COMTESSE.
Hector à la comtesse.

Vous pouvez vous fier à lui, madame, il est des nôtres. Son voyage à Blois peut nous valoir des renseignements importants.

La Comtesse se met à écrire à droite, et pendant qu’elle écrit.

Votre père ?

Hector.

Il est inflexible. — Et le maréchal ?

La Comtesse.

Il a refusé de me voir.

Des Tourbières.

Son mariage est décidé ; il épouse mademoiselle de Blossac.

La Comtesse.

Il me l’a dit… il nous chasse de sa maison. — Quelle femme !…

Hector.

Patience ! — Et Jeanne ?

La Comtesse.

Elle ne sait rien.

Des Tourbières.

Rien… je vous en réponds. C’est un ange ; je subirais pour elle le jugement du feu.

La Comtesse donnant à des Tourbières le papier écrit.

Voici ce que vous me demandez.

Des Tourbières.

Merci, madame. L’heure me presse ; le convoi ne m’attendra pas. Adieu, monsieur de Renneville ! Vous n’aurez pas à vous repentir de votre confiance. Quant à vous, madame, puisque vous avez deviné que j’avais de l’esprit, je ne suis pas inquiet, vous devinerez bien aussi que j’ai du cœur. (À Hector.) À demain.

(Il sort par le fond.)

Scène VI.

HECTOR, LA COMTESSE, puis UN DOMESTIQUE.
Hector.

J’ai vu mademoiselle de Blossac.

La Comtesse.

Eh bien ! sur quoi fonde-t-elle cette calomnie ?

Hector.

Elle m’a promis des renseignements. Elle mentira, mais nous saurons bien décomposer ses mensonges. Avant tout, il faut interroger Léonard. Mademoiselle de Blossac prétend lui avoir parlé ce matin ; elle affirme qu’il n’a osé rien nier, et que son trouble était visible.

La Comtesse.

Je ne puis le croire. Léonard est un honnête homme, un puritain de village, il nous est tout dévoué… ce qu’il dira sera la vérité.

Hector.

Vous l’attendez ?

La Comtesse.

Oui, et nous allons sortir enfin de cette incertitude.

Hector.

Elle a dans ses assertions un aplomb qui effraye. Il y a là-dessous quelque terrible mystère, peut-être une imprudence de cette pauvre enfant ! Vous ne vous rappelez rien ?

La Comtesse.

J’étais mourante !… J’avais la fièvre, le délire ; ce sont les seuls jours de ma vie où je n’ai pas veillé sur ma fille ; mais je la connais… je réponds d’elle.

Le Domestique.

Madame, c’est Léonard…


Scène VII.

HECTOR, LA COMTESSE, LÉONARD.
La Comtesse.

Ah !

Hector.

Enfin !

Léonard.

Madame la comtesse…

La Comtesse.

Venez, venez, Léonard.

Léonard.

Salut, madame la comtesse ; salut, monsieur.

La Comtesse au domestique.

Allez, et ne laissez entrer personne. — Je vous remercie d’être venu, mon bon Léonard… Je vous ai dérangé…

Léonard.

Je suis toujours aux ordres de madame.

La Comtesse.

Léonard, nous avons un renseignement à vous demander.

Léonard.

Un renseignement ?…

La Comtesse.

On raconte une chose impossible. Nous voulons savoir de vous la vérité.

Léonard.

La vérité ?

La Comtesse.

Tout entière. Votre devoir est de nous la dire.

Léonard.

S’il s’agit de ce qui s’est passé à Blois… (on m’en a déjà parlé ce matin), je désirerais ne m’en expliquer que devant madame la comtesse.

La Comtesse.

Vous devez aussi parler devant M. de Renneville.

Léonard.

Ah ! c’est là M. de Renneville !… celui qui devait être votre gendre ?… Oh ! non, devant lui je n’oserais…

Hector s’éloignant.

Je reviendrai.

La Comtesse.

Restez, Hector, il faut que vous sachiez tout. Je fais ce sacrifice à votre honneur, vous respecterez le nôtre.

Hector.

Votre cause est la mienne. Quoi que j’apprenne, vous pouvez compter sur mon silence.

La Comtesse prenant la main d’Hector.

Noble cœur !… Hélas ! (Elle s’assied sur le canapé à gauche ; Hector s’appuie sur le dossier du canapé.) — Eh bien ? Léonard ?…

Léonard.

Le ciel m’est témoin, madame, que j’aurais donné mes plus beaux plants pour me dispenser de venir…

La Comtesse.

Parlez, parlez vite, je vous en conjure.

Léonard.

Madame sait que, pendant vingt ans que je suis resté au service de la famille des Clairmont, j’ai toujours été plein de respect pour mes maîtres.

La Comtesse.

Sans doute.

Léonard.

Madame ne croira pas que je puisse jamais avoir l’idée de l’offenser, et si ce que je vais dire…

La Comtesse.

Je connais vos intentions. Ne me cachez rien ; je veux tout savoir. C’était au mois d’août….

Léonard.

C’était au mois d’août… il y a de cela un an… dans la nuit du 27 au 28… je m’étais couché de bonne heure, car je devais me lever avant le jour. Madame la comtesse était très-malade dans ce temps-là, et l’on m’avait donné une ordonnance à porter chez un pharmacien, à Ménars, madame n’ayant pas confiance dans celui de Blois, qui est pourtant un bien honnête homme. À trois heures environ, je suis réveillé en sursaut, j’entends du bruit, le gros chien aboyait ; je me dis : « Tant mieux ! je serai plus tôt prêt à partir. » Je me lève, je prends mon fusil et je vais voir ce qui se passe. Je me glisse derrière la charmille, j’écoute, je n’entends plus rien ; je regarde et j’aperçois une robe blanche qui traversait un rayon de la lune dans la grande allée : je reconnais bientôt la taille mignonne de mademoiselle, il n’y a qu’elle pour avoir cette gentillesse. De la voir ainsi dans le jardin à cette heure-là, ça me saisit ; je crois qu’il est arrivé un malheur, qu’elle a perdu la tête ; je veux courir après elle, mais je m’aperçois qu’elle n’est pas seule, et que, bien loin d’être inquiète, agitée, elle marche avec précaution, mystérieusement, comme une personne qui a toute sa raison et qui ne veut pas être vue… Je m’arrête, et je tâche de reconnaître avec qui elle est… C’était difficile, à cause des touffes de dahlias et des grands pieds d’asters qui se confondaient de loin à mes yeux avec les habits sombres du jeune homme que je cherchais à distinguer… C’était un jeune homme. D’abord, j’avais pensé, j’avais espéré que c’était le médecin. « Que je suis fou ! m’étais-je dit, c’est M. Lhomond, qui aura passé la nuit près de madame la comtesse, et mademoiselle Jeanne le reconduit par la petite porte de service pour ne pas réveiller toute la maison en ouvrant la grande fenêtre de l’antichambre, qui est si difficile à refermer. » Alors, vite je veux les rejoindre pour demander au docteur lui-même des nouvelles de la malade, et pour savoir s’il faut toujours que j’aille à Ménars porter mon ordonnance. Je m’approche ; mais bah ! ce n’était pas le docteur ! M. Lhomond est un gros homme tout court et tout trapu ; ça, c’était un grand jeune homme, il n’y avait pas moyen de s’y tromper. N’importe ! j’avais tant peine à croire ce que je voyais, que je me fis encore une autre invention à moi-même ; je me dis : « C’est un élève du docteur, il l’aura laissé là pour veiller madame, crainte d’accident, et mademoiselle le reconduit. » Mais… mais… ce n’est pas comme ça qu’on reconduit un étranger… un jeune médecin qu’on voit pour la première fois, on ne le traite pas de cette manière-là… on ne… Madame la comtesse, ne me demandez rien de plus.

La Comtesse.

Léonard, parlez, il faut que je sache tout.

Léonard.

C’est que… mon Dieu ! ça m’écorche les lèvres de dénoncer cette pauvre enfant que j’ai vue toute petite jouer chez nous et que j’aimais, sauf votre respect, madame la comtesse, que j’aimais, comme ma fille… Oh ! je l’aime toujours, je ne peux pas m’empêcher de l’aimer… mais depuis ce jour-là, pour moi, ce n’est plus la même…

La Comtesse bouleversée.

Léonard, mon cher Léonard, vous voyez dans quelle angoisse je suis… dites…

Léonard.

Ah ! madame sera encore plus dans l’angoisse quand j’aurai tout dit… et de lui faire mal, de lui faire tant de chagrin, à elle qui a toujours été si bonne pour moi, à qui je dois tout… ça me fend le cœur.

La Comtesse irritée et se levant.

Ne songez pas à moi, Léonard… il faut que je prévienne de nouveaux dangers ! Parlez, j’ai du courage.

Léonard.

Ah ! madame la comtesse, une mère n’a pas de courage pour ces choses-là !…

La Comtesse.

Mais… peut-être aviez-vous raison, peut-être un élève du docteur Lhomond a-t-il veillé cette nuit-là près de moi, et dans sa reconnaissance, Jeanne lui serrait les mains comme à un ami…

Léonard.

Oh ! ça, j’aurais compris ça ! Mais elle n’était pas seulement affectueuse, elle était… familière, tendre… caressante : elle s’appuyait sur son épaule, elle le câlinait, quoi !… comme ma femme me câline quand je rentre ou quand elle me dit adieu. Ah ! je m’y connais, il faut aimer beaucoup, beaucoup les gens pour les flatter comme ça !

La Comtesse suffoquée.

Mais… lui ?…

Léonard.

Ah ! lui, de la place où j’étais je ne le voyais pas bien, lui. Aussi, voulant le regarder de plus près, quand j’ai entendu que mademoiselle Jeanne ouvrait la petite porte du jardin, j’ai sauté par-dessus le mur pour rattraper mon homme quand il serait dans la prairie. En effet, là, je l’ai retrouvé, et quand j’ai reconnu M. Charles Valleray, le fils de notre préfet, tout m’a été expliqué. Je savais que madame la marquise n’avait jamais voulu le recevoir chez elle, à cause de ses opinions politiques, et alors j’ai compris que, si ces jeunes gens s’aimaient, il leur fallait bien se voir en cachette, puisque leurs parents ne leur permettaient pas de s’aimer autrement. Ce qui m’inquiétait le plus, c’est l’idée que peut-être je n’avais pas été seul à les surprendre, et vite je suis revenu dans le jardin. Au même instant, j’ai entendu le bruit d’une fenêtre qu’on fermait : c’était du côté de l’hôtel de France, à gauche, près du grand peuplier. Cette fenêtre qu’on fermait à cette heure… cela m’a toujours inquiété. Aussi, comme je pensais que cette aventure serait tôt ou tard connue, racontée, j’ai demandé à madame mon congé pour ne pas être dans le pays quand on viendrait à parler de ça. Je ne sais pas mentir, et ce secret-là m’affligeait trop. Il a fallu les ordres, les prières de madame la comtesse pour me forcer à parler contre mademoiselle… J’ai obéi bien à regret, mais… Enfin, voilà toute la vérité. J’espère que madame la comtesse me la pardonnera.

(Il s’essuie les yeux.)
La Comtesse.

Je vous remercie, mon bon Léonard. Attendez que je vous fasse demander ; vous ne partirez que ce soir, il est possible que nous ayons encore besoin de vous… Au revoir.

(Léonard s’éloigne tristement.)

Scène VIII.

HECTOR, LA COMTESSE.
(Dès que Léonard est parti, la comtesse se laisse tomber sur un fauteuil à droite et sanglote.)
Hector avec violence, la regardant pleurer.

Mais vous croyez donc tout ça, vous !…

La Comtesse.

Monsieur de Renneville, je vous rends votre parole, vous êtes libre.

Hector indigné.

Je n’en veux pas de ma liberté !… Je vous dis, madame, que votre fille est innocente, et je ne comprends pas que vous en doutiez, vous, sa mère !… Eh bien ! moi, qui ne l’ai pas connue enfant, moi qui ne l’ai point portée sur mes bras à son berceau, moi qui n’ai pas vu comme vous croître sa beauté, s’épanouir sa jeune âme, se développer sa jeune et brillante imagination, sa pensée si noble, si pure, moi qui la connais à peine, je la déclare, je la juge, je la sens innocente !

La Comtesse.

Vous l’aimez, et l’amour…

Hector.

L’amour ne cherche pas à se flatter dans la jalousie ; au contraire, il est avide de soupçons, et pour que moi, qui devrais douter, j’aie foi malgré l’évidence, — oh ! je reconnais l’évidence ! — c’est que la vérité me frappe, m’inspire et me rend lucide malgré tout.

La Comtesse.

Ce récit… l’attachement de Léonard pour notre famille, pour cette enfant qu’il lui faut accuser…

Hector.

Léonard a mal vu, c’était une autre femme, quelque jeune fille qui avait intérêt à le tromper…

La Comtesse.

Léonard ne pouvait confondre ma fille avec une autre, et pour qu’il certifie l’avoir reconnue, il faut qu’il l’ait bien observée et vue positivement.

Hector.

Ainsi, vous la croyez coupable ?

La Comtesse.

Coupable, non ; mais victime d’un misérable qui aura voulu se venger sur elle des humiliations que la marquise de Clairmont lui avait fait endurer. On savait qu’on ne pouvait atteindre la vieille marquise que dans sa tendresse pour Jeanne, c’était sa filleule, son héritière, la pauvre femme l’idolâtrait. Eh mon Dieu ! il en est ainsi de tous ceux qui la connaissent ! elle est si charmante, vous comprenez cela vous-même, vous la voyez depuis deux mois seulement… et

Hector.

Je l’adore !… mais si je l’ai adorée si vite, c’est pour sa candeur ; non, vous dis-je, elle est innocente ; faites-la venir et interrogez-la.

La Comtesse.

C’est ce que je vais faire. (Elle remonte et passe à gauche.) Mais comment l’interroger ? je ne voudrais pas… Je ne sais quelles questions lui adresser… je crains de l’éclairer…

Hector vivement.

Ah ! vous voyez bien, que vous ne la croyez pas coupable ! Rassemblez tout votre courage et faites-la demander.

La Comtesse.

Tout de suite. Mais vous voulez rester ?

Hector.

Certainement.

La Comtesse.

Vous la troublerez peut-être.

Hector.

Au contraire, je lui donnerai de l’assurance ; moi, je suis de son parti.

La Comtesse.

Croyez-vous donc que je suis contre elle ?

Hector.

Vous doutez.

La Comtesse à part.

Cher Hector, il tremble encore plus que moi !

Hector.

Ah ! je suis impatient de l’entendre ; j’en ai la fièvre…

(Il sonne à gauche.)
La Comtesse à un domestique qui paraît.

Mademoiselle Jeanne ! (Le domestique sort par la droite.) Elle est là dans ma chambre, elle essaye les robes de son trousseau. — Par quoi commencer ce triste interrogatoire ? comment aborder ce pénible sujet ?

Hector.

Demandez-lui d’abord si elle connaît ce monsieur.

La Comtesse.

Non ! oh non ! ce serait l’avertir de l’importance que nous attachons à ses réponses. Non, tenez, prenez un journal, et faites comme si nous causions des nouvelles qu’il donne… Je l’entends… Oh ! je me sens frissonner !


Scène IX.

HECTOR assis à la table, LA COMTESSE sur le canapé, JEANNE.
(Jeanne, habillée pour le soir, robe blanche, entre en attachant ses nœuds, ses bracelets, et se place debout devant la table, à droite.)
Jeanne à elle-même.

J’ai essayé toutes mes robes. Il y en a deux en velours, une verte et une noire… et elles me vont !… Ah ! la robe verte surtout. Madame Camille le disait elle-même : « Cette robe-là vous grandit de deux pouces et vous vieillit de dix ans ! » J’ai l’air d’une vraie dame. Oh ! quand j’aurai cette belle robe-là, on ne m’appellera plus la petite Jeanne… ce qui commence à m’ennuyer. — Vous m’avez fait demander, maman ? (Elle va se placer derrière le canapé, entre Hector et sa mère qu’elle regarde.) Comme tu es pâle ! est-ce que tu es malade ?

La Comtesse.

Non, mon enfant.

Jeanne.

Tu as l’air d’avoir du chagrin.

La Comtesse.

Je n’ai rien.

Jeanne à Hector.

Comme maman est triste ! Est-ce qu’il m’est arrivé un malheur ?

Hector.

Non, mais vous allez vous marier, et c’est toujours un chagrin pour une mère que de marier sa fille.

Jeanne.

Pourquoi ?… (Venant à la gauche de la comtesse.) Est-ce vrai, maman, que ça te fait de la peine que je me marie ?… Alors j’attendrai.

La Comtesse la faisant asseoir à côté d’elle.

C’est une peine que je désire, ma chère Jeanne ; mais le mariage est une chose sérieuse…

Jeanne.

Il faut être triste ?

Hector.

Non ; vous voyez bien que je suis joyeux, moi.

Jeanne.

Mais elle ?…

La Comtesse.

Donner sa fille à un mari, c’est se séparer d’elle, et cette séparation…

Jeanne vivement.

Nous séparer ! mais nous restons ensemble, n’est-ce pas, monsieur de Renneville ?

La Comtesse.

Si ce n’est une véritable séparation, c’est au moins un partage : tu n’aimais que nous, et maintenant un autre va nous enlever la moitié de ton affection.

Jeanne.

Ah ! pour ça, il faut vous y préparer ; j’aimerai mon mari, j’y suis décidée… Mais je t’aimerai toujours de même, il n’y paraîtra rien.

(Elle baise la main de sa mère.)
La Comtesse bas à Hector.

Je suis comme vous : quand je l’écoute, je me rassure.

Hector bas à la comtesse.

Moi, je n’ai plus aucune crainte. Amenez vite le nom de ce monsieur.

La Comtesse de même.

Oui… Vous, regardez-la. (Haut, à Jeanne, admirant sa coiffure.) Comme tu es belle ! pourquoi t’es-tu parée ainsi ?

Jeanne.

Pour dîner chez mon oncle.

La Comtesse troublée.

Ah !

Jeanne.

Vous l’avez oublié… c’est aujourd’hui mercredi ; et il vient maintenant chez lui tant de monde le soir !

La Comtesse embarrassée.

En effet, j’avais oublié de te dire que nous ne dînerions pas aujourd’hui chez le maréchal… Il est souffrant… il ne recevra personne.

Jeanne.

Pauvre oncle ! nous irons savoir de ses nouvelles après dîner.

La Comtesse.

Non, il veut être seul.

(Elle fait signe à Hector.)
Jeanne.

Tout seul ?

La Comtesse.

Non, il veut rester à causer tranquillement avec un de ses anciens amis, un ami que ta chère grand’mère n’aimait guère, et qu’elle n’a jamais voulu recevoir, l’ancien préfet de Blois, M. Valleray. Tu t’en souviens, il passait souvent à cheval sous nos fenêtres avec son fils ? (Bas à Hector.) Elle se trouble. (Haut.) Tu ne te rappelles pas Charles Valleray, un grand jeune homme… blond ?…

Jeanne.

Et mon oncle, lui, ne le déteste donc pas ?

La Comtesse.

Au contraire, il était souvent en querelle avec la vieille marquise parce qu’elle lui disait de lui et de son père beaucoup de mal. Mais M. Valleray lui-même savait bien que nous autres nous n’étions pas ses ennemis, et son fils prétendait que toi, Jeanne, toi… tu étais particulièrement bienveillante pour lui.

Jeanne.

Ah ! il a dit cela.

La Comtesse.

On prétend même qu’il a raconté que pendant que j’étais malade, malade à la mort, ce qui expliquerait parfaitement cette démarche, il est venu savoir de mes nouvelles, et que c’est toi qui lui en as donné.

Jeanne embarrassée.

Non, maman, jamais M. Charles Valleray n’est venu demander de vos nouvelles

La Comtesse.

J’en étais sûre, tu me l’aurais dit. Et vois, ma petite Jeanne, vois comme on invente ! quelqu’un assure vous avoir vus, un soir, ensemble dans le jardin.

Jeanne vivement et se levant.

On nous a vus !

La Comtesse se trahissant et se levant aussi.

C’est donc vrai ?

Jeanne.

Et qui est-ce qui nous a vus ?

La Comtesse.

Mais c’est donc vrai ?… c’est donc vrai, malheureuse !

Hector qui s’est levé, bas à la comtesse.

Calmez-vous.

La Comtesse d’une voix plus douce.

Pourquoi ne m’as-tu pas conté cela, mon enfant ?

Jeanne gravement.

Parce que c’était mal.

La Comtesse.

Ainsi, tu avais le sentiment de ton… imprudence ?

Jeanne.

Quelle imprudence ? Il m’avait fait jurer de garder le secret et j’ai tenu ma promesse.

La Comtesse.

Tu as eu raison, ma fille ; il faut toujours tenir ses serments. Mais explique-moi cette histoire-là, car je ne la comprends pas bien ; il faut qu’on me l’ait mal racontée. On m’a dit qu’on t’avait vue seule avec M. Charles Valleray dans le jardin, il y a un an, au mois d’août ; on a même précisé la date, la nuit du 28 au 29 août, il y a un an.

Jeanne.

Non, maman, ce n’est pas ça.

La Comtesse.

Ah ! je le disais bien !…

Jeanne.

C’est la nuit du 27 au 28.

La Comtesse.

On t’a vue dans le jardin avec… M. Charles Valleray… Tu lui as ouvert toi-même la petite porte qui donne sur la prairie, et lui, en te quittant, comme pour te remercier du service que tu lui rendais, il s’est montré très-affectueux… pour toi

Jeanne.

Lui ? non, il m’a seulement baisé la main ; mais c’est moi qui le caressais beaucoup.

La Comtesse.

Toi ! toi !… mais pourquoi donc ?

Jeanne.

Il le fallait bien, sans cela nous étions perdus.

La Comtesse bas à Hector.

Ah ! c’est à en devenir folle !

Hector bas à la comtesse, cherchant à la calmer.

Contraignez-vous ; regardez-la, voyez comme elle est sûre d’elle ! (La comtesse remonte la scène et redescend à la gauche de Jeanne. — À Jeanne, essayant de sourire.) Voyons, mademoiselle, expliquez-nous donc un peu pourquoi vous traitiez si bien ce beau jeune homme ?

Jeanne.

Ah ! le jaloux ! Je vais vous expliquer cela ; c’est bien simple… c’est que je voulais empêcher… Mais non, je vais reprendre toute l’histoire du commencement. Je vous ai déjà dit que c’était le 28 août ; ma mère était dangereusement malade depuis trois semaines, oh ! bien mal, et depuis deux jours elle avait le délire, elle ne nous reconnaissait plus ; elle avait de grands yeux brillants qui ne voyaient plus rien ; elle me criait à moi d’un air égaré, quand je m’approchais d’elle : « Va-t’en ! va-t’en ! ta présence m’est odieuse ! » Elle me disait cela à moi, moi ! Jugez comme elle était malade ! On désespérait d’elle, on levait les mains au ciel, on parlait tout bas devant moi, et, en me regardant, on se disait déjà : « Pauvre enfant ! » Oh ! c’était affreux !… Enfin, vers le soir de ce jour-là, elle se calma un peu, et le médecin… qui l’a sauvée… nous dit que si ce calme pouvait durer, si la malade pouvait dormir seulement trois ou quatre heures, il répondrait d’elle. Après tant de jours de désespoir, cette bonne parole nous rendit tout notre courage. M. Lhomond s’en alla, et quelques minutes après son départ, maman s’endormit doucement. Alors, sans nous parler, sans oser respirer à peine, nous faisons toutes les trois, la vieille Thérèse, Fanny et moi, nos préparatifs pour la nuit. Thérèse s’établit dans un bon fauteuil pour dormir ; Fanny, qui avait déjà passé quinze nuits près de maman, et qui ne s’est jamais remise de cette fatigue-là… Dès que maman a été mieux, elle est tombée malade, et elle a été forcée de nous quitter… Elle est venue l’autre jour, elle va partir…

La Comtesse.

Mais laisse donc Fanny de côté et va vite !

Jeanne.

Fanny va se coucher sur son lit, et moi je me mets à prier. Oh ! comme j’ai bien prié cette nuit-là ! je n’avais pas de distractions comme à la messe, va !… Le silence était si grand qu’on n’entendait rien que le mouvement de la pendule ; alors l’idée me vint que l’heure allait sonner, et que le bruit de la sonnerie, retentissant tout à coup dans ce profond silence, pourrait réveiller la malade… je me levai, et, marchant sur la pointe du pied, j’allai vers la cheminée et j’arrêtai la pendule. À peine avais-je fini que j’entendis au fond du jardin César, le gros chien de garde, qui aboyait comme un furieux… Sa voix ne grondait encore que dans le lointain, mais je l’entendais qui se rapprochait, qui se rapprochait… Oh ! mon Dieu, pensai-je, il va venir faire son vacarme sous les fenêtres de maman, elle se réveillera et tout ce bon sommeil sera perdu ! Sans réfléchir à ce que je faisais, je prends une petite lampe qui était sur la table, je regarde Thérèse… elle n’avait rien entendu… d’ailleurs, César ne l’aime pas, il ne l’aurait pas écoutée… et vite je descends l’escalier. Je me disais bien : « Ce sont peut-être des voleurs, » mais je n’avais pas peur. Oh ! j’ai du courage, moi ! J’ouvre la porte, et qu’est-ce que je vois sur la terrasse ?… ce méchant César, qui dévorait un grand jeune homme !… Tant qu’il le mordait, il n’y avait pas de danger, il n’aboyait pas ; mais le jeune homme avait une grosse canne et frappait fort, et je voyais le moment où César allait lâcher prise ; c’est alors qu’il aurait hurlé et réveillé toute la maison. Il n’y avait pas une minute à perdre. Aussi, je m’approche de M. Valleray, — je l’avais reconnu, — et je lui dis : « Monsieur, prenez-moi vite la main et faites-moi beaucoup d’amitiés. » M. Valleray comprit tout de suite que je venais à son secours, il saisit ma main, et alors je lui parlai très-doucement, en le câlinant comme ça… (Elle prend vivement la main d’Hector et s’appuie sur son épaule, puis elle se trouble et s’éloigne de lui.) Avec vous, je n’ose pas ; c’est singulier… Toi, maman… (Elle pose sa main sur l’épaule de sa mère et la caresse.) Comme ça, en disant : « Ce bon M. Charles Valleray, je le connais ; c’est un de nos amis, nous l’aimons bien, il ne faut pas lui faire du mal, ni aboyer après lui. César, ne te fâche pas, tu vois bien que c’est un de nos amis » Enfin, toutes sortes de bêtises qui firent une grande impression sur l’esprit de César, car il lâcha enfin ce pauvre jeune homme. J’allai chercher la clef de la petite porte du jardin, et je reconduisis M. Valleray en lui tenant toujours la main bien affectueusement, parce que ce vilain César avait encore l’air très-maussade et que je me méfiais de lui ; et vite je suis revenue à la maison. Oh ! comme j’étais inquiète en remontant l’escalier. Je tremblais, j’avais peur d’entendre ta voix et de te trouver réveillée. Je suis rentrée chez toi tout doucement ! je me suis approchée de ton lit… Ô maman, quel bonheur ! Dieu avait eu pitié de moi, tu dormais !… {di|(Hector va vers la comtesse, il lui prend les deux mains avec orgueil. Suffoqués par leur émotion, ils tombent dans les bras l’un de l’autre.)}} Eh bien ! qu’est-ce qu’ils ont donc ?

Hector troublé, cherchant.

Charles Valleray est mon camarade de collège… Vous l’avez sauvé.

Jeanne.

Il me l’a bien dit… Lui ! le fils du préfet… une société secrète… si on l’avait surpris… il était perdu !

La Comtesse.

Comment se trouvait-il là ?

Jeanne.

Il avait sauté par la fenêtre… de l’hôtel de France.

Hector.

C’est cela, c’est cela… tout s’explique ! Cette fenêtre qu’on a refermée… plus de doute !

La Comtesse.

Chère enfant !

(Elle pleure.)
Hector vivement.

Ah ! je renais !… que cela fait du bien !… Mais il ne s’agit pas d’être heureux… Il faut la démasquer. Le moyen, je le trouverai… Avant tout, il faut que je voie Léonard… Adieu, ma chère Jeanne ! (Il lui prend les mains.) Noble enfant ! vous serez vengée, l’hypocrite sera confondue ; elle-même viendra se prendre au piège, je saurai lui arracher la vérité. Je vais tout raconter à mon père… Et le maréchal !… Ah ! il faudra bien qu’il tombe à vos genoux !… À demain, Jeanne, ma femme, ma chère petite femme !

(Il prend la tête de Jeanne dans ses mains et l’embrasse avec passion ; puis il sort.)
Jeanne.

Maman, il est fou !

La Comtesse.

Non, il n’est pas fou… Embrasse-moi !

FIN DU QUATRIÈME ACTE.