Ophélie
Ophélie (Ophelia dans la version originale) est un personnage de la tragédie Hamlet du dramaturge anglais William Shakespeare. Elle est une jeune noble du Danemark, fille de Polonius, sœur de Laërte et future épouse du prince Hamlet dont les actes la conduisent à la folie puis à la mort par noyade[1].
Prénom
modifierContrairement aux autres noms de personnages du livre, le prénom Ophélie n'est pas danois. Il apparaît pour la première fois en 1504 dans le poème L'Arcadie de Jacopo Sannazaro (sous le nom de Ofelia), probablement dérivé du grec ancien ὠφέλεια (ōphéleia), qui signifie « aide »[2].
Iconographie et inspiration artistique
modifierBien qu'Ophélie n'occupe qu'un rôle mineur dans Hamlet de Shakespeare, elle inspira fortement les artistes à partir du XIXe siècle. L'épisode le plus repris dans les représentations est celui de sa mort par noyade. Dans le drame shakespearien, ce dernier n'est pourtant qu'évoqué par la reine lors d'un dialogue avec Laërte :
« La reine. — Un malheur marche sur les talons d'un autre, tant ils se suivent de près : votre sœur est noyée, Laerte. »
Si les œuvres de Shakespeare ont connu par le passé des représentations illustrées, les images se multiplient à partir des années 1820-1830[3]. Durant la période romantique le personnage d'Ophélie intéresse pour sa tonalité tragique et est encore positionnée dans l'intrigue dans son ensemble. Par exemple, quand Eugène Delacroix la représente c'est dans un projet plus global d'illustrations[4].
Avec les préraphaélites, Ophélie s'autonomise. En 1851, John Everett Millais dépeint l'iconographie qui connaitra un franc succès par la suite. La jeune fille est représentée de manière idéalisée, en harmonie avec la nature qui l'environne. Est évincé l'aspect morbide du suicide au profit d'une représentation idéalisée qui appelle à la contemplation en reprenant les codes de représentation des « belles mortes »[4]. Un dialogue se construit alors entre les artistes et les poètes. Lorsque Paul Steck présente son Ophélie à l'exposition de 1895, le catalogue est introduit par les vers Les Fleurs d'Ophélie écrits en 1891 par Laurent Tailhade[5].
Ces modes de représentation enferment Ophélie dans un idéal de la féminité, participent à diffuser des clichés autour de la femme idéale et enferment le personnage dans un rôle de femme-enfant dû à sa folie et sa passivité qui amoindrit l'impact de la mort[6].
Au XXe siècle, des artistes telles qu'Yvonne Chevalier ou Louise Bourgeois s'attachent à se détourner de ces stéréotypes et invitent à dépasser le mythe d'Ophélie[7],[8].
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Eugène Delacroix, La Mort d'Ophélie, 1843, New-York, Metropolitan Museum of Art.
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Henri Lehmann, Ophelia, 1847-1848, Collection particulière.
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John Everett Millais, Ophelia, 1851-1852, Londres, Tate Britain.
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Jean-Baptiste Carpeaux, Ophélie morte, 1862, Paris, Petit Palais.
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Ernest Hébert, Ophélie aux liserons, 1876, huile sur toile, Paris, Musée d'Orsay/Musée national Ernest Hébert
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Jules Bastien-Lepage, Ophélie, 1881, Nancy, Musée des beaux-arts.
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John William Waterhouse, Ophelia, 1894, Collection particulière.
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Paul Steck, Ophélie, 1894-1895, Paris, Petit Palais.
Postérité
modifierOphélie apparaît souvent dans divers contextes culturels, notamment dans la littérature, la musique, le cinéma et la télévision[9].
Dans la littérature
modifierEn France, Arthur Rimbaud, avec son poème Ophélie, écrit en 1870, évoque le personnage et crée « à son tour un texte fondateur dans la construction du mythe »[4].
Au théâtre
modifierAu théâtre, parmi les nombreuses interprètes du personnage, se distinguent[10] :
- Mary Saunderson (en), probablement la première femme à avoir tenu le rôle[10] (1661) ;
- Susannah Maria Cibber (en) (1735) ;
- Peg Woffington (1745) ;
- Mrs Lessingham (1772) ;
- Sarah Siddons (1786) ;
- Mary Glover (1826) ;
- Isabel Bateman (en) (1874) ;
- Helen Maud Holt (en) (1892) ;
- Lillian Gish (1936) ;
- Vivien Leigh (1937) ;
- Claire Bloom (1953).
En France, l'interprétation de Sarah Bernhardt (1886) est notable[10].
En musique
modifierRobert Schumann, dans Herzeleid (opus 107 no 1 ; 1852), met en musique le poème de Titus Ullrich (en), dédié à Ophélie et qui se termine par son nom chanté deux fois.
Le personnage d'Ophélie est également mis en valeur dans la Ballade sur la mort d'Ophélie (1848) d'Hector Berlioz et dans l'opéra Hamlet (1868) d'Ambroise Thomas où le rôle est tenu par un soprano et dans lequel on relève particulièrement la scène de la folie avec l'air « Partagez-vous mes fleurs » (acte IV)[10].
Nolwenn Leroy sorti sa chanson Ophélia dans l'album Ô filles de l'eau en novembre 2012. Dans cet ouvrage évoquant de nombreux mythes du folklore maritime elle consacre son 3ème titre à l'histoire de la nymphe de Shakespeare[11].
Vanessa Paradis chante « Ophélie » en 1990. Dans cette chanson, elle souhaite être aimé comme Ophélie l’a été et elle envie sa mort en la comparant à une sorte de liberté et de communion avec la nature[12].
Au cinéma
modifierDans le Hamlet réalisé en 1948 par Laurence Olivier, le rôle d'Ophélie est tenu par Jean Simmons[10].
Kirsten Dunst, dans l'affiche du film Melancholia, évoque Ophélie[13].
En 2018, le film Ophélie est centré sur le personnage. Daisy Ridley y incarne Ophélie.
En astronomie
modifierEn astronomie, un satellite d'Uranus porte le nom d'Ophélie[14],[15], ainsi qu'un astéroïde de la ceinture principale[16] : (171) Ophélie[16].
Notes et références
modifier- (en) « Ophelia », sur www.britannica.com (consulté le ).
- (en) Mike Campbell, « Meaning, origin and history of the name Ophelia », sur Behind the Name (consulté le ).
- Manon Montier, « Le texte et ses images : L’avènement d’une iconographie shakespearienne en France : le cas des éditions illustrées au XIXe siècle. », Publications numériques du Cérédl, (lire en ligne )
- Anne Cousseau, « Ophélie : histoire d'un mythe fin de siècle », Revue d'histoire littéraire de la France, (lire en ligne )
- Petit Palais, « Petit Palais chez vous - Des oeuvres et des mots : Paul Steck, Ophélie, 1894-1895 - Laurent Tailhade, « Les Fleurs d'Ophélie », Vitraux, 1891 » [PDF], sur petitpalais.paris.fr (consulté le )
- Julie Beauzac, « Esthétiser les femmes mortes » , sur venuslepodcast.com, (consulté le )
- Yvonne Chevalier, Ophélie (Baigneuse aux nénuphars) (1935, épreuve gélatino-argentique, Paris, Musée national d'art moderne)
- Louise Bourgeois, Hamlet et Ophelia (1997, lithographie avec ajouts de couleurs, New York, Museum of Modern Art)
- (en) Jonathan Gil Harris, Shakespeare and Literary Theory, Oxford University Press, (ISBN 978-0-19-957338-7, lire en ligne).
- Laffont et Bompiani 2003, p. 731.
- « Nolwenn Leroy. Chanson par chanson, elle commente son nouvel album », (consulté le )
- « paroles de vanessa paradis ophélie - Recherche Google », sur www.google.com (consulté le )
- (en) « Poster notes: Melancholia », sur the Guardian, (consulté le ).
- « IAUC 4168: Sats AND RINGS OF URANUS; CCO », sur www.cbat.eps.harvard.edu (consulté le ).
- « Planetary Names: Planet and Satellite Names and Discoverers », sur web.archive.org, (consulté le ).
- (en) « (171) Ophelia », dans Dictionary of Minor Planet Names, Springer, (ISBN 978-3-540-29925-7, DOI 10.1007/978-3-540-29925-7_172, lire en ligne), p. 30–30
Voir aussi
modifierBibliographie
modifier- Gaston Bachelard, L'Eau et les Rêves. Essai sur l'imagination de la matière, Paris, librairie José Corti, 1942, rééd. 1991, p. 114 et suivantes.
- Anne Cousseau, « Ophélie : histoire d'un mythe fin de siècle », Revue d'histoire littéraire de la France, 2001/1 (vol. 101), p. 105-122. DOI 10.3917/rhlf.011.0105. [lire en ligne] .
- Laffont et Bompiani, Dictionnaire des personnages, Robert Laffont, coll. « Bouquins », (1re éd. 1960), 1040 p. (ISBN 978-2-221-19748-6).
- Monica Sabolo, Summer, édition J.-C. Lattès, 2017.
- Valérie Bajou, Ophélie. La noyée embellie, Paris : Cohen & Cohen, 2023.
Liens externes
modifier
- Ressource relative à la bande dessinée :
- Notice dans un dictionnaire ou une encyclopédie généraliste :