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Front roumain (1944)

Le Front roumain durant la Seconde Guerre mondiale oppose :

L'ouverture du front roumain par les généraux Gheorghe Avramescu et Petre Dumitrescu, et l'avance soviétique les 20, 21, 22 et 23 août 1944.
Le front roumain de la Seconde Guerre mondiale l'été 1944[1].
Le front de l'Est du 19 au 31 août 1944 : en bleu, le territoire conquis par les Soviétiques en Europe du Sud-Est à la suite du retournement du front roumain. Dans l'original américain de cette carte, les frontières sont en partie fantaisistes, et seules les troupes soviétiques sont montrées côté Allié.

Contexte

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La Roumanie a participé à la Seconde Guerre mondiale du au  : jusqu'au le régime fasciste Antonescu combat aux côtés de l'Axe tandis que deux divisions (« Tudor Vladimirescu » et « Horia-Cloșca-Crisan »), quelques unités de la flotte et aviateurs, combattent du côté Allié ; à partir du le pays entier passe du côté Allié.

  • 473 000 soldats roumains ont été engagés aux côtés des Allemands contre l'URSS : parmi les forces de l'Axe, il s'agit du contingent le plus fourni après celui de l'Allemagne[2]. Les opérations militaires des forces roumaines terrestres contre l'URSS les portent vers l'est jusqu'au sud-ouest d'Astrakhan, en Kalmoukie (automne 1942). 139 000 soldats roumains se rendent ou sont faits prisonniers à Stalingrad : environ un quart rejoint les divisions « Vladimirescu », « Horea, Cloșca et Crișan » (en), la moitié reprend la guerre dans l'armée roumaine lorsque la Roumanie rejoint les Alliés, le dernier quart reste et meurt en captivité[3].
  • 397 000 soldats roumains ont été engagés aux côtés des Soviétiques contre l'Axe : il s'agit du contingent le plus fourni après ceux des États-Unis, de l'URSS et de l'Empire britannique[4]. La campagne militaire roumaine, terrestre et aérienne, se poursuit vers l'ouest sous les ordres de l'Armée rouge jusqu'aux abords de Prague en Tchécoslovaquie (Chotěboř-Humpolec)[5].

Déroulement

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Militaires roumains et soviétiques discutant près de Stalingrad en 1942 : les seconds sont, en théorie, prisonniers des premiers... mais pour peu de temps : les Roumains seront bientôt engagés dans les divisions roumaines alliées « Tudor Vladimirescu » et « Horia-Cloșca-Crișan ».

En , le front de l'Est de l'Axe recule vers l'Ouest devant l'offensive de l'Armée rouge (IIe front et IIIe front d'Ukraine). Après une première avancée partielle en Roumanie, les Soviétiques stabilisent le front pour cinq mois en Moldavie septentrionale et concentrent leurs forces plus au nord, pour avancer en Pologne, car ils savent que la mission clandestine inter-Alliée Autonomous du SOE est à Bucarest[6], en contact avec le roi roumain Michel Ier qui négocie, à Ankara et au Caire, par l'intermédiaire du prince Barbu Știrbei et de la princesse Marthe Bibesco, le passage de la Roumanie aux Alliés[7]. Staline attend donc que la Roumanie « tombe comme un fruit mûr », ce qui se produit le lorsque les généraux roumains Gheorghe Avramescu et Petre Dumitrescu ouvrent le front aux soviétiques : ayant perdu 8 300 tués, 25 000 blessés et 25 avions, ils sont accusés de trahison, et, pour quelques heures, sont remplacés par Ilie Șteflea, un fidèle du maréchal Antonescu, allié d'Hitler, le jour même de l'arrestation du dictateur lors du coup d'état du 23 août 1944[8]. Du 20 au 23 août l'Armée rouge avance d'une cinquantaine de kilomètres, créant assez de panique dans l'état-major roumain pour permettre au roi Michel Ier, le 23 août 1944 d'arrêter et destituer Antonescu, tandis qu'à Stockholm, l'ambassadeur roumain Frederic Nanu et son attaché Neagu Djuvara, demandent l'armistice aux Alliés, par l'intermédiaire de l'ambassadrice soviétique Alexandra Kollontaï[9].

À Bucarest, le roi Michel Ier et le Conseil national de la résistance proposent à l'ambassadeur allemand Manfred von Killinger une reddition sans combats des forces allemandes présentes sur le sol roumain. Von Killinger refuse et la Roumanie, désormais gouvernée par le général Sănătescu, déclare la guerre à l'Axe sans attendre la réponse des Alliés à sa demande d'armistice. Au matin du , elle engage 397 000 hommes contre l'Allemagne et la Hongrie. L'armée roumaine reçoit l'ordre de cesser toute résistance contre les Soviétiques et d'engager contre les forces Allemandes et Hongroises des actions offensives afin d'en « libérer le territoire roumain »[10].

 
La division « Tudor Vladimirescu » lors de son entrée dans Bucarest fin août 1944 ; en bas, passée en revue par le roi Michel Ier début septembre.
 
Accueillie en libératrice par les bucarestois anti-allemands (mais avec méfiance par ceux craignant le communisme), l'Armée rouge entre à son tour à Bucarest, début .
 
La fraternisation entre l'Armée roumaine et l'Armée rouge, réelle sur le front anti-allemand, est mise en exergue par les médias, mais à l'arrière, les officiers soviétiques continuent à se méfier des Roumains tandis que le MVD/NKVD multiplie les arrestations.

À partir du les forces roumaines, parfois grossies d'engagés venus des maquis, quittent leurs positions sur le front soviétique et lancent leurs offensives contre l'Axe. L'Armée rouge avance dans leur sillage ou à leurs côtés, et le front se déplace alors de 700 km vers le sud-ouest en une semaine. Parmi les forces alliées, la Roumanie engage le quatrième contingent le plus fourni après ceux de l'URSS, des États-Unis et du Royaume-Uni. Du moins, sur le front, car dans les chancelleries, les réponses de l'URSS, des États-Unis et du Royaume-Uni se font attendre jusqu'au , et les Alliés continuent à considérer la Roumanie comme un pays ennemi.

De ce fait, pendant la durée de cette attente (trois semaines) les gares, les ports, Ploiești et Bucarest furent successivement bombardés par les Stukas de la Luftwaffe basés à Băneasa, au nord de Bucarest, par les bombardiers lourds américains venus de Foggia et par l'aviation soviétique[11] ; la Wehrmacht comme l'Armée rouge se considérant en terrain ennemi ou en territoire occupé, pratiquèrent le pillage et le viol systématiques. L'armée roumaine, qui subit la contre-attaque allemande, continue à être attaquée par l'Armée rouge, bien qu'elle ait reçu l'ordre de ne pas se défendre. Les Soviétiques s'emparent de nombreux armements et continuent à faire des prisonniers, tout comme les Allemands[12].

Pendant cette période, les forces de l'Axe opposèrent une résistance variable selon les endroits : elle fut vive aux abords des aérodromes (la Luftwaffe basée en Roumanie bombarda les gares roumaines et Bucarest), des ports du Danube (importants pour la Kriegsmarine) et autour des champs de pétrole de Ploiești, important enjeu stratégique ; elle fut plus sporadique ailleurs. La Wehrmacht et les forces hongroises protégeaient en fait leur retraite, essayant de rapatrier le maximum de matériel et pratiquant la « stratégie de la terre brûlée »[4].

Le l'armistice peut enfin être signé à Moscou par le même prince Barbu Știrbei qui, à Ankara, avait négocié avec les Alliés et vainement tenté d'obtenir d'eux un débarquement anglo-américain dans les Balkans[13].

Avant comme après l'armistice, de nombreux officiers supérieurs roumains furent arrêtés par le NKVD et emmenés en captivité en URSS où ils furent jugés selon leur comportement sous les ordres du régime Antonescu dans la guerre anti-soviétique : plus d'un finit au Goulag pour ne jamais revenir. Parmi les 140 000 militaires roumains faits prisonniers (souvent par unités entières), la plupart des simples soldats furent libérés après le (certaines unités furent prisonnières pour quelques heures seulement) et regagnèrent le front anti-allemand, mais la majorité des gradés ne revinrent pas de captivité[14]. D'autres, en revanche, favorables à la cause soviétique, furent promus à la place des disparus et 58 officiers supérieurs reçurent la plus haute distinction soviétique, l'Ordre de la Victoire[15]. Progressivement, les forces roumaines sont réorganisées et mises sous haut commandement soviétique, tandis que les forces navales et aériennes sont directement intégrées aux unités soviétiques c'est-à-dire confisquées. Le matériel de l'armée roumaine pris par les Soviétiques (y compris après le 23 août) reste à leur disposition, comme celui pris par les Roumains aux Allemands et aux Hongrois, et comme les prisonniers allemands ou hongrois faits par l'Armée roumaine[16].

 
En rouge, la guerre de la Roumanie contre l'Axe du côté Allié du 24 août 1944 au 7 mai 1945 aux côtés des armées soviétiques (en vert).

Une fois déclarée la guerre contre l'Axe, les opérations militaires des forces roumaines terrestres contre l'Axe s'échelonnent du (en Roumanie même) au (Chotěboř-Humpolec à l'est de Prague). Selon Winston Churchill, le « retournement du front roumain » et l'entrée en guerre de la Roumanie aux côtés des Alliés a évité la mort de centaines de milliers de soldats Alliés et a accéléré la fin de la Seconde Guerre mondiale de six mois en obligeant la Wehrmacht à évacuer les Balkans et la Grèce[17]. Durant les opérations, les Allemands perdent 215 000 hommes, dont 100 000 tués et 115 000 faits prisonniers par les Roumains ou l'Armée rouge. Tous les soldats allemands faits prisonniers par l'armée roumaine furent, conformément aux demandes soviétiques, livrés à l'Armée rouge, y compris ceux qui, étant issus de la minorité allemande de Roumanie, étaient citoyens roumains[18].

Ayant combattu dans les deux camps, mais bien plus longtemps dans celui de l'Axe (plus de trois ans, contre 8 mois avec les Alliés) la Roumanie signa le traité de paix de Paris en « pays vaincu », en 1947. Toutefois, pour sa contribution du côté Allié, la Roumanie, bien que « vaincue », put récupérer la Transylvanie du Nord qu'un arbitrage d'Adolf Hitler avait, en 1940, attribuée à la Hongrie. Par ailleurs, le roi Michel Ier reçut lui aussi l'ordre soviétique de la Victoire, décerné sur ordre de Joseph Staline lui-même[19].

Après la guerre, le retournement du front roumain fut largement ignoré dans l'historiographie occidentale grand public, qui présente l'entrée des Soviétiques dans les Balkans en comme la simple conséquence de l'avance des généraux Rodion Malinovski et Fiodor Tolboukhine à partir du , sans mentionner le changement d'alliance de la Roumanie. C'est le cas de la quasi-totalité des manuels scolaires et des documentaires télévisuels comme la série « La Seconde Guerre mondiale en couleur » de Nick Davidson (8e épisode), mais aussi d'ouvrages plus spécialisés tel l'ouvrage de Pat McTaggart Red Storm in Romania[20] ; en revanche, Johannes Frießner, commandant allemand du Groupe d'armées Sud, relate largement la « trahison des Roumains »[21].

Commandants

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Forces de l'Axe

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Alliés

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Notes et références

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  1. Ștefan Pascu (dir.), Atlas pentru Istoria României, ed. Didactică și Pedagogică, Bucarest 1983, p. 76.
  2. Quid, édition 2000
  3. Alexandru Duțu, Mihai Retegan, Marian Ștefan, România în al doilea război mondial (La Roumanie dans la Seconde Guerre mondiale), éd. « Magazin istoric », juin 1991, p. 35-39.
  4. a et b Frank 1977.
  5. Duțu, Retegan, Ștefan, Op. cit. 1991, p. 35-39.
  6. Dennis Deletant, Springer, 2016, British Clandestine Activities in Romania during the Second World War, p. 33
  7. Ghislain de Diesbach, La Princesse Bibesco - La dernière orchidée, Perrin, Paris 1986
  8. Johannes Frießner : Verratene Schlachten, die Tragödie der deutschen Wehrmacht in Rumänien ("Batailles trahies, la tragédie de la Wehrmacht en Roumanie"), éd. Holsten-Verlag, Leinen 1956.
  9. Neagu Djuvara, La guerre de 77 ans et les prémisses de l'hégémonie américaine (1914 - 1991), Humanitas, Bucarest 2008.
  10. Le Figaro du vendredi 25 août 1944, article La Roumanie se range aux côtés des Alliés, p. 1 et 2 ; cet article contient une info erronée : il affirme qu'Antonescu se serait enfui en Allemagne. En fait, il fut livré aux Soviétiques, conformément à leur demande ; en 1946, ils le rendirent aux Roumains qui le traduisirent en justice, le condamnèrent à mort et l'exécutèrent.
  11. Vasile Tudor, La Guerre aérienne en Roumanie, Piteşti, éd. Tiparg, 2006
  12. Spiridon Manoliu, Un jour pour se retourner, Le Monde du 25 août 1984 sur [1 ] ; Frank 1977.
  13. À l'automne 1943, en raison de l'influence de Harry Hopkins sur le président Roosevelt, les États-Unis refusèrent d'appuyer l'offensive britannique en Égée, qui fut un échec et mit fin aux espoirs de Winston Churchill de débarquer un jour dans les Balkans pour y établir ou rétablir des régimes libéraux-démocratiques pro-occidentaux. Dès lors les Britanniques durent, à la conférence de Téhéran, renoncer à toute prétention sur l'Europe de l'Est, mais Churchill espérait obtenir de Staline, en échange, la garantie de conserver la Grèce dans la zone d'influence britannique, en dépit de sa puissante résistance communiste (Pascal Boniface, Le grand livre de la géopolitique : les relations internationales depuis 1945 - Défis, conflits, tendances, problématiques, ed. Eyrolles, 2014). Pour obtenir cela, les Britanniques firent un compromis en acceptant le principe du partage de l'Europe en zones d'influence entre les Alliés occidentaux et l'URSS (Diane S. Clemens, « Yalta Conference » in World Book vol. 21, 2006, p. 549 et Pierre de Senarclens, Yalta, coll. Que sais-je ?, PUF, 1990, p. 50-52) à la conférence inter-alliée « Tolstoï » ((en) « Second Moscow Conference - 9 to 19 October 1944 », sur BBC, Site). Dès lors, le sort de la Roumanie après-guerre fut scellé : elle serait traitée en pays ennemi vaincu et non en co-belligérant comme l'espéraient ses dirigeants, mais ce sort fut aussi celui de la Pologne, livrée à Staline alors qu'elle n'avait à aucun moment cessé de combattre contre les nazis (son aviation avait contribué à sauver le Royaume-Uni en 1940), et de la Grèce dont la résistance communiste, abandonnée par Staline, fut décimée par les conservateurs pendant la guerre civile grecque.
  14. Dans ses Mémoires (revue Discobolul, oct.-décembre 2009, sur [1]) le capitaine Titus Bărbulescu raconte avoir échappé à cette "épuration déguisée" en revêtant un uniforme de simple soldat. Plus tard, fait prisonnier par les Allemands en Hongrie, détenu à Linz et libéré par les Américains, il échappe une seconde fois au Goulag grâce à son français parfait, en se faisant passer pour Jean Bescon, un prisonnier français qui, ayant trouvé l'amour en Autriche, lui laissa son paquetage et sa carte : ainsi, Bărbulescu fut envoyé en France au lieu d'être livré aux Soviétiques, comme l'étaient ses compatriotes.
  15. Articles du journal Ziua ("Le Jour") no 3723 du vendredi 8 septembre 2006, du Jurnalul Național du mardi 5 décembre 2006, et du Ziarul Financiar du 23 juin 2006 sur Ziarul Financiar, 23 iunie 2006 - Războiul din Est
  16. Frank 1977 et Le journal du général Sănătescu, éd. Humanitas, Bucarest, 1999.
  17. Winston Churchill, The Second World War, Bantam Books, N.Y. 1977 ; Documents on German foreign policy 1938-1945, Her Majesty’s stationary office, Londres 1956; Frank 1977.
  18. Documents on German foreign policy 1938-1945, Her Majesty’s stationary office, Londres 1956.
  19. (en) « Eastern Front - Rumania ».
  20. [2] consulté le 28 oct. 2011
  21. Johannes Frießner, Verratene Schlachten, die Tragödie der deutschen Wehrmacht in Rumänien ("Batailles trahies, la tragédie de la Wehrmacht en Roumanie"), éd. Holsten-Verlag, Leinen 1956.

Bibliographie

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  • Matthieu Boisdron : La Roumanie succombe à l'Axe, dans Histoire(s) de la Dernière Guerre no 9, janvier 2011, p. 42 à 47.
  • (en) Dennis Deletant : Hitler's Forgotten Ally : Ion Antonescu and his Regime, Romania, 1940-1944, Basingstoke, Palgrave, 2006.
  • (ro) Alexandru Duțu, Mihai Retegan, Marian Stefan : România în al doilea război mondial ("La Roumanie dans la Seconde Guerre mondiale") in : Magazin istoric, juin 1991.
  • Nicolette Frank, La Roumanie dans l'engrenage, Paris, Elsevier-Sequoia, .
  • (ro) Dinu C. Giurescu, România în al doilea război mondial (1939-1945), éd. All Educational 1999.
  • Stefan Lache et Gheorghe Tutui : La Roumanie à la conférence de la paix, 1946, éd. Dacia, Cluj 1978.
  • (ro) Ioan Scurtu : România în anii celui de-al doilea război mondial, éd. Militară 1989.