Cognition sociale
La cognition sociale désigne l'ensemble des processus cognitifs (perception, mémorisation, raisonnement, émotions...) impliqués dans les interactions sociales chez l'humain mais aussi chez les autres animaux sociaux, en particulier les primates.
Cognition sociale individuelle
modifierPar les termes mêmes, la cognition sociale renvoie à l'approche cognitiviste en psychologie. Dans cette perspective, les objets sociaux font l'objet de représentations mentales de type schémas (c’est-à-dire des éléments caractéristiques, les attributs prototypiques et des exemplaires). Par exemple, le concept de professeur s'inscrirait dans un schéma possédant des attributs comme l'autorité, le savoir et des exemples de professeurs qui nous ont marqués. Or selon la théorie cognitiviste, l'activation d'un concept (par un élément du contexte, par une réminiscence active, ou autre) est censée faciliter l'accessibilité à son schéma et aux concepts qui lui sont liés. Ainsi, dans la sphère sociale, l'interaction avec un individu donné activerait une série de schémas qui eux-mêmes influenceraient notre cognition sociale par ce qu'ils évoquent. Par exemple, si l'on nous présente un individu comme étant professeur, notre jugement pourrait se trouver biaisé par le schéma activé par ce concept : cet individu nous semblera savant ou autoritaire en fonction des représentations mentales associées au schéma activé.
Cette perspective offre ainsi une explication aux phénomènes de préjugés, de racisme, mais aussi d'amitié...
Neurosciences sociales
modifierÀ partir des années 1990, les neurosciences cognitives ont commencé à s'intéresser aux bases cérébrales de la cognition sociale. En particulier, les études neuropsychologiques de patients victimes d'une lésion cérébrale dans certaines régions du lobe frontal ont eu un impact retentissant en montrant que ces régions jouaient un rôle crucial dans le jugement social et les interactions avec autrui. L'exemple historique qui illustre le livre du neurologue Antonio Damasio L'Erreur de Descartes est le cas de Phineas Gage (1823-1860) dont le comportement social aurait été modifié à la suite d'un accident lui faisant perdre une partie du cortex préfrontal. Au-delà de cette observation anecdotique, les neurosciences cognitives ont depuis largement confirmé l'importance de certaines régions du cerveau dans les processus sociaux, au moyen de l'imagerie cérébrale. On peut citer quelques exemples[1] :
- le lobe temporal, en particulier le gyrus fusiforme dans la perception des visages, et le sillon temporal supérieur dans la perception de la voix humaine ;
- le cortex prémoteur, et en particulier les neurones miroirs, dans les processus d'imitation ;
- les structures corticales médiales (cingulaires, notamment) qui sont impliquées dans la distinction entre soi et autrui ;
- le complexe amygdalien dans les émotions et la confiance en autrui.
Une nouvelle perspective a été introduite au cours des années 2000 avec l'introduction de situations expérimentales plus proches des interactions sociales réelles. Inspirée par l'économie expérimentale, cette approche, qui s'inscrit parfois sous la bannière de la neuroéconomie, cherche à comprendre les mécanismes neuronaux impliqués dans des phénomènes tels que l'altruisme, la confiance en autrui, la punition du tricheur ou encore le jugement moral. A la même époque, les neurosciences sociales ont émergé comme le domaine interdisciplinaire consacré à l'étude de ces mécanismes neuronaux, hormonaux, cellulaires et génétiques et, en corollaire, l'étude des associations et des influences entre les niveaux sociaux et biologiques des espèces sociales, que ce soient des insectes, rongeurs, mangoustes ou les primates[2],[3].
Ces progrès dans la connaissance du cerveau humain rejoignent les découvertes faites chez l'animal en éthologie cognitive. Ces dernières tendent à montrer que certaines facultés de la cognition sociale humaine ont leurs origines évolutionnaires dans des capacités que partagent d'autres animaux, tels les grands singes. C'est notamment, l'un des arguments de la psychologie évolutionniste : le cerveau de l'Homme (comme celui de l'animal) est une machinerie complexe qu'il faut étudier en cherchant comment elle est adaptée à son écosystème qui, dans une large mesure, est constitué d'autres membres de son espèce. Il n'y a donc rien d'étonnant à découvrir que certaines de ces facultés sont innées, comme le fait d'exprimer certaines émotions par une expression faciale particulière, que l'on retrouve chez des enfants aveugles de naissance qui n'ont donc pas pu l'apprendre par imitation.
Cette perspective apporte un éclairage nouveau sur des pathologies développementales à composante sociale telles que l'autisme ou le syndrome de Williams. Les recherches récentes indiquent en effet qu'elles correspondent, au moins en partie, à un dysfonctionnement de certains mécanismes de la cognition sociale. Cela expliquerait pourquoi ces individus peuvent par ailleurs avoir des capacités normales dans d'autres domaines de la cognition.
Cognition sociale collective
modifierPar métonymie, le terme désigne aussi un paradigme de la psychologie sociale qui étudie ces processus mentaux au niveau des groupes ou des foules.
Les groupes tendent à modifier la cognition individuelle :
- soit du fait d'un élargissement des sources d'information, ce qui est un effet positif ;
- soit du fait de la pression sociale (conditionnement), ce qui peut conduire à un certain appauvrissement du raisonnement, un effet qui est alors négatif.
En lien avec la notion de schéma au niveau de la cognition sociale individuelle, la psychologie sociale a développé le concept de stéréotype introduit par Walter Lippmann (dans une optique initialement différente qui correspondait davantage au préjugé). La notion de stéréotype permet de rendre compte de l'existence de représentations sociales partagées au sein d'un groupe humain à propos d'un autre groupe humain (ou de lui-même).
Références
modifier- Voir sur ce sujet, par exemple, le cours du Pr Alain Berthoz au Collège de France : Physiologie de la perception et de l’action.
- Cacioppo, J. T. (2002). Social neuroscience: Understanding the pieces fosters understanding the whole and vice versa. American Psychologist, 57(11), 819.
- Decety, J., & Cacioppo, J. T. (2011). The Oxford Handbook of Social Neuroscience. New York: Oxford University Press.