Confucianisme au Japon
Le Confucianisme au Japon (日本の儒教 ) et en particulier le néoconfucianisme joue un rôle important dans la structuration des institutions politiques lors de l'histoire du pays ainsi que dans les rapports sociaux.
Historique
modifierDéveloppement du confucianisme en Chine
modifierUn culte au philosophe chinois Confucius (551 av. J.-C.;479 av. J.-C.) commence à se développer après sa mort. D'abord porté par ses élèves, les rites qui se développent ne font pas parti des enseignements de Confucius, et rentrent probablement dans le cadre et la forme d'un culte des ancêtres . Ce cérémoniel bénéficie d'une exposition nationale lorsque qu'en 195 av. J.-C. l'empereur Han Gaozu, fondateur de la Dynastie Han, offre une bête en sacrifice au temple dédié à Confucius qui a été érrigé dans son ancienne école[1]. Les premières descriptions de ce rite qui figure dans le Classique des rites et dans le Rites des Zhou restent vagues, et ne présente pas une vénération spécialement tournée vers Confucius mais vers les esprits des maitres défunts. Elles posent cependant certains traits qui vont s'imposer par la suite, comme la participation de l'empereur, des princes, ou de digitaires locaux, sa saisonnalité, les récitations de textes de Confucius, des sacrifices d'animaux, des présentations de musiques et de textes littéraires spécialement composées pour l'occasion[2]... Certains aspects de cette liturgie (jeûne préparatoire, purification des instruments du rituel, sacrifice d'animaux) sont communs avec ceux déjà pratiqués par la cour impériale. La déclamation de vers est sensée incarner le lien entre l'empereur et les lettrés. Très peu de ces cérémonies pratiquées lors de la Dynastie Han sont connues (comme celle observée par l'empereur Han Mingdi en 59 av. J.-C.). Ce n'est que lors de la période des Six Dynasties de 222 à 589 que ces cérémonies semblent être plus régulières et plus formalisées, avant que la Dynastie Tang de 618 à 907 ne continue elle aussi cette pratique[3], mais en délaissant certains aspects artistiques (aspects qui eux perdurent dans les rituels confucianistes enregistrés dans la Corée du Koryŏ et au Japon)[4].
La dynastie Tang qui dirige la Chine de 618 à 907 confère au rituel confucianiste un rang important dans son protocole impérial, en le plaçant immédiatement sous les rituels majeurs[5]. Soucieux de pouvoir s'assurer du soutient de la bureaucratie, plusieurs empereurs vont honorer la tombe de Confucius à Qufu (Tang Gaozong en 666, Tang Xuanzong en 725), et au VIIe siècle plusieurs empereurs vont assister en personnes aux rites au Guozijian (en), parfois à plusieurs reprises. Cette participation du souverain à ces rites est par la suite émulée en Corée et au Vietnam par les rois locaux. Un code est compilé en 732 qui fixe le protocole de ces rites confucianistes, le Da Tang Kaiyuan li (zh-hans) (chinois : 大唐开元礼 ; litt. « Rituels de la période Kaiyuan »). D'autres codes sont compilés plus tôt lors de la dynastie Tang. Si leurs contenu est aujourd'hui considéré comme perdu, ils ont pu influencer les premiers rituels japonais. C'est ce code qui sert de référence en Chine à cette époque, comme au Japon au moment de l'introduction du confucianisme[6]. Plusieurs cérémonies de différents niveaux protocolaires sont ainsi décrites, certains incluant le prince impérial et organisé au Guozijian (en), d'autres organisés dans des académies régionales et incluants les représentants de l'empereur. La figure de Confucius y est présentée comme un patron de la culture, révélateurs des vérités de la nature et du cosmos[7].
Le confucianisme et ses rites connaissent cependant une perte d'influence au cour de la dynastie Tang, notamment à partir de la révolte d'An Lushan de 755 à 763. L'organisation de plusieurs rituels dans les provinces semblent avoir été suspendus ou interdits après cette révolte, et ce n'est que sous l'empereur Tang Dezong qui règne de 780 à 805 que ces rites sont réinstaurés dans des formes plus limitées[8]. C'est lors de cette période de perte d'influence du confucianisme en Chine que le Japon adopte aux VIIIe siècle et IXe siècle plusieurs structures étatiques et administratives alors en place dans la Chine des Tang, et déjà adoptées en Corée par le royaume de Silla. En Chine le Taoïsme commence à prendre une place déterminante, et en Corée le bouddhisme domine le fonctionnement de l'Etat. C'est donc un confucianisme sous influences et historiquement faible qui commence à être diffusé au Japon à partir du VIIIe siècle[9].
Introduction dans la seconde moitié du 1er millénaire
modifierIntroduction du confucianisme de la fin VIIe siècle au milieu du VIIIe siècle
modifierL'introduction du confucianisme au Japon remonte probablement au VIe siècle, la Corée des Trois Royaumes jouant le rôle d'intermédiaire avec la Chine d'où ce courant de pensée est originaire[10]. Son influence est décelable dans les premiers textes qui cherchent à fournir un cadre politique au pays. La constitution en 17 articles qui remonterait à 604 reprend plusieurs concepts issus des écrits de Confucius[10], et paraphrase plusieurs classiques comme le Classique des rites (dans son introduction[11]), le Classique de la piété filiale (dans la quatrième injonction), les Annalectes (dans les neuvième et seizième injonctions)[12]. Cette influence est perceptible dans des textes postérieurs comme le Kojiki qui est publié en 712, et qui joue le rôle d'histoire officielle pour le régime, qui calque lui son introduction sur celle du Wujing Zhengji (ja), anthologie de textes confucianistes de l'époque Tang[13].
Un tournant dans l'adoption de rites confucianistes au Japon a lieu en 701. Une première cérémonie confucianiste, ou sekiten (釈奠 ), est organisée[14]. Celle-ci intervient alors que sous l'influence du modèle chinois, les empereurs Tenji, Tenmu, puis l'impératrice Jitō, dont les règnes s'étalent de 668 à 697, ont fait adopter un fonctionnement politique basé sur un droit écrit, hiérarchique, et plaçant la figure de l'empereur au sommet de l'Etat[15]. L'intégration de cette figure chinoise aux rites japonais intervient quelques mois avant la réouverture des relations diplomatiques entre le Japon et la Chine des Tang la même année, et a sans doute été utilisée pour revendiquer l'appartenance du Japon à un groupe d'Etats asiatiques s'étant élevés au même niveau politique que la Chine. Toujours en 701 est adoptée le Code de Taihō d'inspiration chinoise, qui fixe le fonctionnement du sekiten (釈奠 ). Il fonde aussi dans la capitale une académie d'inspiration confucianiste modelée sur le Guozijian (en) chinois, la Daigaku-ryō[n 1], et d'autres académies secondaires dans plusieurs provinces et dans le Dazaifu à Kyūshū[16]. Le Code de Taihō rattache au ministère des rites cette Daigaku-ryō et fixe plusieurs de ses rites et enseignements, dont l'étude de classiques chinois[17].
La Daigaku-ryō bénéficie du soutient du clan Fujiwara qui domine alors la vie politique du pays. Fujiwara no Muchimaro intègre même son administration en 705 et agit pour pérenniser la tenu régulière de sekiten (釈奠 )[18], notamment en s'attachant les services de deux lettrés confucianistes d'origine Paekche Kudara no Konikishi Rōgu (ja) et Tori no Yasutsugu (ja) ce qui a pour effet de rapprocher le Japon de la pratique du confucianisme alors observée en Corée[19]. Lorsque la capitale est déménagée à Heijō-kyō en 710, un site est attribuée à la Daigaku-ryō ainsi qu'à un temple confucianiste. Des documents administratifs de l'époque montre que les sekiten (釈奠 ) continuent d'être observés[20]. Cependant et contrairement aux modèle chinois, bien que formellement représentée, rien ne vient attester la participation de la famille impériale à un quelconque rite confucianiste. L'empereur Shōmu qui règne de 724 à 749 s'appui au contraire sur le bouddhisme pour assoir sa légitimité. C'est avant tout au travers du domaine de l'éducation que le confucianisme exerce alors son influence[21].
L'influence du confucianisme dans la structuration du cadre social et étatique japonais est notable dès cette période d'introduction. La dimension universaliste de ce système de pensée apporte à la fois un cadre hiérarchique, et un système de médiation et de recherche de consensus politique. Ces cadres s'appliquent à la fois dans les rapports au sein de la société japonaise, mais aussi dans les relations avec les autres sociétés voisines (Chine, Corée, Emishi...)[22]. La lecture du confucianisme dans laquelle s'ancre ce confucianisme japonais original est celle qui prévaut dans la Chine des Han, et qui met l'accent sur la dimension conciliatrice de l'action politique, et qui vise l'harmonie au sein de la société[n 2],[11]. Il met en garde les élites politiques contre l'usage abusif de la force, et les incite à respecter les besoins des couches de la sociétés les plus humbles. Ce confucianisme en introduisant l'idée universaliste de civilisation introduit par la même occasion une hiérarchisation entre « sociétés civilisées » et « sociétés barbares », et la justification que la conquête des secondes par la première sur fond de « logique de civilisation »[n 3],[12]. Le Nihon shoki publié en 720, et qui au même titre que le Kojiki pose des éléments d'histoire officielle du pays, reprend des éléments de langage du Classique des rites pour décrire l'asservissement par l'état Yamato des populations Emishi, considérées comme barbares[23]. La forme qu'adopte le sekiten (釈奠 ) montre lui des influences qui le rattache plutôt à ce qui est pratiqué lors de la période chinoise des Six Dynasties de 222 à 589 et qui a perduré ensuite dans la péninsule coréenne, notamment dans la tenu de banquets et la récitation de textes et de poésies lors de ceux-ci[20].
Pénétration en surface du confucianisme lors du VIIIe siècle
modifierLa réouverture des relations diplomatiques entre le Japon et la Chine des Tang en 701 permet une plus grande diffusion du modèle civilisationnel chinois dans le pays, et avec lui du confucianisme. Kibi no Makibi intègre une des première ambassade japonaise envoyée à Pékin en 717, et y reste presque deux décennies à y étudier. Sous le règne de l'empereur Tang Xuanzong, le confucianisme y traverse alors une période de grande vivacité[24]. A son retour au Japon, il intègre la Daigaku-ryō comme enseignant, y modernise le sekiten (釈奠 ) pour le rendre plus proche du rituel confucianiste alors en cours en Chine, et devient le tuteur de la future impératrice Kōken[25]. Si cela lui permet par la suite de bénéficier d'un soutient politique et de pousser certains aspects du confucianisme, cela le place aussi en conflit avec un autre confucianiste influent de l'époque, Fujiwara no Nakamaro (qui soutient lui une faction rivale), ce qui limite la portée de son influence. A l'occasion d'un nouveau séjour en Chine de 751 à 753, il ramène un exemplaire du Da Tang Kaiyuan li (zh-hans), code des rituels alors en cours en Chine[26], qu'il utilise pour continuer sa modernisation du sekiten (釈奠 ). Grace à sa bonne connaissance du bouddhisme, il arrive à en proposer une vision syncrétique qui l'associe au confucianisme, à une époque lors de laquelle le bouddhisme est favorisé par le pouvoir. Grace a ses bonnes relations avec l'impératrice Kōken, il parvient en 767 à obtenir sa participation directe au sekiten (釈奠 ), seule participation d'un empereur japonais à ce rituel jusqu'à l'époque d'Edo[27].
Le règne de l'empereur Kanmu de 781 à 806 est une phase de plus grande pénétration de la culture chinoise au Japon. L'empereur Kanmu s'est familiarisé avec la pensée confucianiste lors de son court passage dans l'administration de la Daigaku-ryō. Il rapproche les protocoles japonais de leurs modèles chinois pour assoir sa légitimité, et semble avoir aussi utilisé dans cette optique le concept de mandat céleste, étant issu d'un branche cadette de la lignée impériale. Par deux fois il commande la tenue de rituels confucianistes dans la capitale, et s'y fait représenter[28]. La réalité de la pénétration du confucianisme au sein de l'état japonais lors de son règne est cependant plus nuancée. La remise en cause des grands équilibres oligarchiques qui serait causée par une mise en œuvre d'un confucianisme rigoureux le rend peu attrayant pour le pouvoir, alors que le bouddhisme préserve lui davantage le statu quo. Le confucianisme rentre aussi en opposition avec les pratiques animistes japonaises qui sont la base de la légitimité de la lignée impériale[29]. Si les sekiten (釈奠 ) organisés au sein de la Daigaku-ryō perdurent pendant tout son règne, sous l'empereur Kanmu le confucianisme se fait plus discret au sein de l'Etat, en s'engage dans une phase de reflux[30].
La bureaucratie mise en place au Japon souffre des même limites que celles enregistrées à la même époque en Chine et en Corée. Des clans issus de l'aristocratie limite grandement son autorité dans les plus hautes sphères du pouvoir, et une certaine fragilité du confucianisme y est déjà perceptible à plusieurs niveaux. Le Code Yōrō, promulgué en 757 et inspiré du Da Tang Kaiyuan li (zh-hans), octrois aux rites confucianistes une moindre place que celle laissée dans son modèle chinois, dans lequel leurs importances est déjà historiquement basse[31]. Certains rituels confucianistes présents dans le modèle chinois sont ainsi remplacés par des rituels d'inspiration shintō, et les seuls rituels confucianistes encore mentionnés dans le Code Yōrō concerne la Daigaku-ryō. Alors qu'en Chine les rituels confucianistes sont exécutés par l'empereur et concourent à assoir sa légitimité, au Japon ceux-ci deviennent limités à certains domaines de l'administration[32].
Situations très contrastées lors du IXe siècle
modifierLe confucianisme traverse aussi une phase de marasme intellectuel au Japon à partir du IXe siècle. Très peu de textes confucianistes sont édités dans le pays lors de cette période, et ceux qui le sont le sont en chinois, ce qui limite leurs lectorats à quelques lettrés. L'étude de ces textes est par ailleurs souvent faite dans un cadre linguistique pour travailler les questions de traduction, et leur analyses est très limitée[33]. Le confucianisme est essentiellement étudié pour permettre aux fonctionnaires d'échanger avec des interlocuteurs chinois dans un cadre commercial, la dimension philosophique des textes est laissée en retrait, et son utilité pour le fonctionnement de l'Etat au Japon ignoré[34]. Le moine bouddhiste Kūkai, fondateur de l'école Shingon, publie même en 797 le Sangō shiiki (littéralement « Guide des trois enseignements » ) dans lequel il entend démontrer l'infériorité du confucianisme sur le bouddhisme, notamment en raison de ses limites pour traiter de la métaphysique[33].
L'importance de la Daigaku-ryō au sein de la haute administration semble en surface connaitre des progrès. Le nombre d'étudiants augmente dans la première moitié du IXe siècle, tout comme la proportion de kugyō qui y étudient (aucun au VIIIe siècle, 13 % de 801 à 850, 19% de 851 à 900, et jusqu'à 27 % dans la première moitié du Xe siècle) [35]. Cependant lors IXe siècle l'accès à certains cours devient basé sur la naissance, et des charges au sein de la Daigaku-ryō deviennent héréditaires, sapant la logique confucianiste de l'institution. En parallèle se développent des écoles privées réservées à l'aristocratie au sein de la Daigaku-ryō[36], les plus connues étant la Kangakuin (ja) (patronné par le clan Fujiwara) et la San'intei (ja) (patronné par le clan Sugawara)[37]. Les académies de provinces sont elles touchées par un manque grandissant d'enseignants. Peu de leurs élèves se présentent et obtienne les concours encore organisés dans la capitale, ce qui tend à distendre les liens intellectuels entre la région de la capitale et le reste du pays[38].
Le sekiten (釈奠 ) voit son organisation redynamisée[39] dans les années 830 lors que Tsunesada est alors prince héritier. Elle perd cependant en poids politique ce qu'elle gagne en place culturelle. Elle est à plusieurs reprises annulée dans la capitale lors de la seconde moitié du IXe siècle pour des raisons protocolaires[40], et son organisation sporadique dans le reste du pays ne se fait pas selon une forme unifiée. Si en 860 une directive cherche à unifier le protocole dans les provinces, ses effets sont très limités[41]. Les textes confucianistes qui y sont lus ne sont plus choisis pour leurs possibles intérêts selon la situation politique du moment, mais à partir de 838 selon une liste tournante, ce qui limite leurs portées[42]. Le sekiten (釈奠 ) se voit aussi imposée un rang inférieur dans les cérémonies, et est souvent décalé pour laisser place à des cérémonies liées à la famille impériale, ou pour ne pas entraver la réalisation de cérémonies bouddhistes ou liées au Sanctuaire d'Ise[43]. Une autre cérémonie se développe aussi dans la capitale à partir de 815, l'Uchi rongi (内論義 ). Si elle se tient dans le palais impérial et y met en scène les lettrés confucéens de la Daigaku-ryō et leurs élèves en présence de l'empereur et de la cour, sa liturgie rappelle la prééminence du corps politique sur le corps des lettrés[n 4],[44]. Ces deux cérémonies bénéficient d'une certaine popularité dans les élites car elles sont l'occasion de briller en démontrant sa maitrise des lettres, et des lettres chinoises. Les cérémonie dédient une partie importante du rituel à la récitation de textes classiques et à la musique, et jouent un rôle social important au sein de la cour[45]. Lors de ces cérémonies, des lettrés confucianistes comme Sugawara no Michizane (dans le domaine de la poésie) et Miyoshi Kiyotsura (dans le domaine de l'histoire et de la morale) parviennent à briller dans la seconde moitié du IXe siècle. Ce dernier est assez critique du fonctionnement aristocratique de la cour, et fait par de sa vision confucianiste en publiant le Iken jūni kajō (ja) en 914[46].
Marasme jusqu'à la fin de l'Époque de Heian
modifierLa liturgie du sekiten (釈奠 ) connait des évolutions dans le second quart du Xe siècle. Le code Engishiki qui est achevé en 928 et promulgué en 967 complète les protocoles déjà couverts par le code de Taihō de 701 et le Code Yōrō de 757. C'est le code le plus ancien qui nous soit parvenu pour lequel la totalité du contenu des rites confucianistes est connu[n 5]. Il présente une version mature de ce rite, fruits de plusieurs adaptations successives du Da Tang Kaiyuan li (zh-hans) au contexte japonais, sans trop s'en départir sur sa forme générale, que ce soit pour le rituel pratiqué à la Daigaku-ryō ou ceux organisés en province. C'est sur de ce texte que les rénovations du rituels lors des siècles suivants vont se baser, et jusqu'à une réfome de Kansei en 1800[47]. Il conserve l'aspect grandiose de son modèle chinois, plus de 75 rôles liturgiques sont identifiables, et pas loin de 500 repas sont prévus pour le banquet principal[48]. Contrairement à son modèle chinois, la place du prince impérial à cette cérémonie est limité, et la figure de Confucius reste subordonnée à celle de la lignée impériale[49].
Les sources ultérieures au Engishiki montrent cependant une organisation déclinante du sekiten (釈奠 ) jusqu'à la fin de l'époque de Heian, marqué par la baisse de prestige de la culture chinoise suite à la chute de la Dynastie Tang en 907, mais surtout à la remise en cause du régime des codes par la montée en puissance du Clan Fujiwara, au profit d'un régime dominé par les grands clans[50]. Le prince impérial devient absent des cérémonies organisées dans la capitale[51]. Une version abrégée de la cérémonie, initialement prévu pour les jours de pluie, s'impose progressivement, et au début du XIe siècle même des lettrés hauts responsables de la Daigaku-ryō commencent ponctuellement à ne plus être présents. L'Uchi rongi (内論義 ) qui se tient dans le palais impérial semble ne plus avoir été organisé après l'Ère Chōgen (1028-1037)[52].
La place du sekiten (釈奠 ) est aussi remis en cause. Des cérémonies confucianistes privées voient le jour, organisées par des aristocrates, souvent liées à des écoles liées à des clans, comme la Kangakuin (ja) et la San'intei (ja). La plus ancienne de ces cérémonies privées est attestée en 1061[53]. La liturgie du sekiten (釈奠 ) est aussi plus fortement soumise aux autres religions. Au début du XIIe siècle l'usage de viande est abandonné sous l'influence du bouddhisme, et cet abandon est par la suite expliqué par un rêve qu'aurait eu Confucius dans laquelle une déesse du soleil lui serait apparue pour demander la fin de l'utilisation de la viande, subordonnant alors pratique du confucianisme et croyance shintō[54]. La forme du sekiten (釈奠 ) commence aussi à inspirer d'autres types de cérémonies, ce qui dilue son rôle intellectuel et artistique. En 964 une cérémonie bouddhiste reprend certains de ces éléments, et à partir de 1118 est organisé au sein de la cour le Hitomaru-eigu (en) dédiée au poète Kakinomoto no Hitomaro, qui reprend à la fois les aspects sacrificiels du sekiten (釈奠 ), mais aussi la dimension culturelle en étant l'occasion d'une compétition de poésie. L'un de ses premiers grand participant est Fujiwara no Atsumitsu (en), qui est à l'époque aussi dirigeant de la Daigaku-ryō[55].
Quelques initiatives sont prises au XIIe siècle pour tenter de restaurer la forme ou le prestige de plusieurs institutions confucianistes . Fujiwara no Atsumitsu transmet en 1135 un mémorandum à la cour pour se plaindre de manque de considération dont bénéficie la Daigaku-ryō, arguant du fait que le « déclin des écoles et l'une des sept cause du déclin d'un gouvernement »[56]. Si elle reste lettre morte, Fujiwara no Yorinaga alors ministre de la Gauche à partir de 1149 et soutient du confucianisme parvient à rétablir progressivement la tenue du sekiten (釈奠 ) jusqu'à ce qu'un forme complète soit exécutée en 1153. Sa mort en 1156 met fin à cette dynamique. Dans la capitale comme en province, les préceptes du confucianisme rentrent en conflit avec la montée du pouvoir des clans et de leurs domaines qui marginalise l'administration et les lettrés[57]. L'ascension du Clan Fujiwara remet en cause le fonctionnement des rares institutions confucianistes encore fonctionnelles. La Daigaku-ryō voit son nombre d'enseignants baisser jusqu'à la fin de l'époque de Heian en 1185. Ses bâtiments sont détruits par le grand incendie qui ravage la capitale en 1177 et ne sont pas reconstruits[58]. La Kangakuin (ja), école parrainée par le clan Fujiwara est elle aussi détruite, mais bénéficie d'une reconstruction. Le sekiten (釈奠 ) est lui maintenant dans une forme très réduite jusqu'à la fin de la période dans l'enceinte du palais impérial[59].
Confucianisme à l'époque médiévale
modifierÉpoque de Kamakura
modifierLe nouveau pouvoir du shogunat de Kamakura qui dirige le pays de 1192 à 1333, dominé par le milieu des guerriers, opte pour plusieurs politiques qui vont influencer la manière dont le confucianisme se manifeste au sein de certains pans de la société japonais. Il favorise la montée de nouvelles écoles de pensées bouddhistes qui ont récemment émergées dans la Chine des Song qui dirigent l'empire du milieu de 960 à 1279. Celles-ci, comme le Zen, se sont développées en Chine en intégrant les influences d'autres système de pensées déjà présents, dont le confucianisme. C'est donc au travers de ce patronage bouddhiste que les idées confucianistes vont s'exprimer lors de cette période[60]. Ce bouddhisme des cinq grands temples s'exprime par une production artistique plus créative, car il incite ses pratiquants à rechercher l'illumination par la pratique personnelle. Il s'adresse aussi à une plus grande population en prenant appui sur le milieu des guerriers. Le confucianisme et ses idées au Moyen-âge s'expriment alors davantage au travers de la production culturelle, tout en touchant une plus large pan de la population, là où il était plus réservé aux sphères aristocratique et visait une expression politique lors des périodes précédentes[61].
Une nouvelle doctrine confucianiste basée sur les écrits de Zhu Xi, le néoconfucianisme, est introduit au Japon au début de la période par des moines Shunjō (ja) et Enni, et des moines chinois comme Lanxi Daolong[10]. Il bénéficie d'un corpus idéologique plus important (empruntant au bouddhisme pour traiter de la métaphysique) d'un plus grand dynamisme intellectuel (de nombreux livres sont alors régulièrement importés de Chine tout en conservant un certain prestige (il sert de référence aux Examens impériaux à partir de 1315 lors la dynastie Yuan)[61]. Son influence touche aussi la cour, le moinde bouddhiste Gen'e (ja) l'enseigne à des aristocrates influents comme Hino Suketomo (ja) Hino Toshimoto (ja). Ce néoconfucianisme influence même l'empereur Hanazono à vers la fin de la période lorsqu'il l'utilise dans le cadre d'une admonestation au prince restée célèbre[62].
L'organisation de sekiten (釈奠 ) perdure au sein de la cour après la prise de pouvoir du shogunat de Kamakura. Fujiwara no Kanezane parvient à le rétablir à Kyōto en 1183 dans une forme très réduite, au moins jusqu'à sa disgrâce en 1196[63]. Fujiwara no Teika en fait un compte rendu en 1216, le Sekiten shidai (釈奠次第, « procédures pour le Sekiten » ), qui est utilisé par la suite lors de l'époque d'Edo pour restaurer cette cérémonie[64]. Au total 240 sekiten (釈奠 ) sont recensés lors des 280 annes qui suivent la mise en place du shogunat de Kamakura et jusqu'aux prémisses de la guerre d'Ōnin. Les annulations sont le plus souvent liées à des problèmes de pureté du rituel, de période de deuil entourant la mort de dignitaires de la cour, et d'incompatibilité de calendrier avec des festival shintō[65]. Si ce rituel reste pratiquée par la cour impérial, le shogunat au contraire n'intègre pas de rite confucianiste, et seulement quelques rares patronages sporadiques sont recensés à l'époque[66].
Époque de Muromachi
modifierLe confucianisme est étudié au Japon à la fin de l'Époque de Muromachi par quelques érudits bouddhistes, souvent liés à l'école Rinzai[67]. La guerre d'Ōnin à la fin du XVe siècle a eu comme effet de disperser dans le pays de nombreux moines, et par ce biais de diffuser davantage ces doctrines auprès des élites locales[10]. L'érudit coréen Kang Hang (en) capturé lors de la guerre d'Imjin en 1597 et retenu captif au Japon joue un rôle de passeur important, notamment en formant Fujiwara Seika, qui à son tour ouvre une école à Kyōto où sont enseigné les préceptes confucéens. Plusieurs des élèves qu'il y forme, comme Hayashi Razan vont jouer un rôle clef dans la diffusion et la pénétration du confucianisme auprès des élites en se mettant au service et en conseillant les politiques les plus puissants du nouveau régime. Il s'agit souvent d'une version du confucianisme basée sur les écrits de Zhu Xi, le néoconfucianisme, qui au XIIe siècle dans la Chine des Song en propose une nouvelle interprétation influencée par le taoïsme et le bouddhisme, plus métaphysique et ésotérique[67].
Époque d'Edo
modifierLe néoconfucianisme basé sur les écrits de Zhu Xi fait fasse à une critique grandissante au Japon dès la seconde moitié du XVIIe siècle par des confucianistes comme Yamaga Sokō, Itō Jinsai, et Ogyū Sorai. Ces représentants des Kogaku (ja) (« études anciennes »[n 6]) prônent un retour aux textes originaux de Confucius, et critiquent l'usage de concepts bouddhistes et taoïstes pour analyser ces textes[68].
Le confucianisme s'impose pendant la période comme une philosophie politique commune à l'ensemble des élites du pays, fixant des normes d'éthique et de gouvernance. La hausse de l'alphabétisation et l'essor des académies d'inspiration confucianistes dans le pays structurent intellectuellement les lettrés du pays[69]. Cependant jusqu'au milieu du XVIIIe siècle, le confucianisme reste encore perçu par le pouvoir central comme une idéologie étrangère, et potentiellement séditieuse au même titre que le christianisme. Si une normalisation progressive s'opère à mesure que des lettrés confucéens gagnent en influence auprès du pouvoir central et des daimyō, ce n'est véritablement qu'à partir de 1680 et le début du règne du cinquième shogun, Tokugawa Tsunayoshi, qu'une acceptation institutionnelle se généralise, et que le néoconfucianisme s'impose comme l'idéologie centrale du régime[70]. Un temple confucianiste, le Yushima Seidō devient en 1691 l'académie officielle du régime shogunal, et le clan Hayashi en obtiennent la gestion de manière héréditaire[71]. Cependant dans le reste du pays l'absence de cadre institutionnel commun rend les enseignements d'inspiration confucianiste assez hétéroclites. L'absence d'écoles de pensées identifiables rend les différences doctrinaires peu marquées. A coté des enseignements de Zhu Xi, ceux de Wang Yangming sont aussi assez largement diffusés. Si en 1790 l'Édit de Kansei cherche à interdire les courant hétérodoxes du confucianisme pour imposer ceux découlant des écrits de Zhu Xi, ses effets sont limités en dehors du Yushima Seidō[72].
La fin de la période d'Edo, notamment entre la fin du XVIIIe siècle et le début du XIXe siècle, est marquée par une intense activité intellectuelle rendu possible par le cadre éducatif et éthique prôné par le confucianisme. Ce terreau intellectuel réunit différentes classes de la société, du samurai pauvre au riche marchand, et jusqu'aux moine bouddhiste[73]. Il bénéficie du réseau d'écoles d'inspiration confucianistes et de l'importance du nombre de livres en circulation. Ce réseau permet la diffusion d'idées nouvelles comme les rangaku (« études hollandaise »), les kokugaku (« études nativistes »), ou encore les kangaku (« études chinoises »)[74] ; si le contenu de ces écoles de pensées est parfois antagoniste avec les enseignements confucianistes, il s'adapte pour rentrer dans ce cadre intellectuel[75]. Les rangaku sont souvent enseignées au sein des institutions confucianistes mise en place par le régime. Les kokugaku, bien que repoussant le confucianisme sur la base de son origine chinoise, et prônant un retour aux textes antiques japonais comme inspiration pour le régime, s'inscrivent dans un cadre intellectuel mis en place par le confucianisme et compatible avec lui[76]. Ce cadre confucianiste est souvent mis en avant pour expliquer la réussite des politiques de modernisation du pays au début de l'ère Meiji à partir de 1868, soit par le rôle joué par des institutions confucianistes (comme la Bansho Shirabesho ou la Yushima Seidō), ou comme formation intellectuelle de plusieurs personnalités politiques de premier plan (de nombreux membre de la Meirokusha ont eu une formation confucianiste)[77].
Période contemporaine
modifierSources
modifierNotes
modifier- L'établissement est probablement créé en 670 par des immigrés coréens venant du royaume de Paekche, et l'enseignement de textes de confucius y est attesté en 691. Le Code de Taihō a pour effet d'intégrer cette école au sein de l'Etat.
- Une autre lecture du confucianisme s'est aussi développée en Chine lors de la Dynastie Qin. Influencée par un penseur comme Han Fei Zi, ce courant légisme met lui l'accent sur l'obéissance à la loi, et est plus coercitif dans la mise en œuvre du confucianisme qu'il préconise.
- Si une « mission civilisatrice » n'est pas posée en ces termes à cette époque, le confucianisme est de nouveau utilisé dans cette optique dans la première moitié du XXe siècle pour justifier la subjugation de plusieurs pays asiatiques par le Japon impérial.
- Certains aspects de cette cérémonie d'Uchi rongi (内論義 ) sont encore décrits un siècle plus tard dans les Notes de chevet de Sei Shōnagon ; Ils sont perçus comme déroutants et exotiques, tout en étant bien identifiés comme un culte dédié à Confucius.
- Les rituels liés à Confucius nre représentent qu'une petite partie des quelques 500 rites qui y sont décrits.
- La plupart des noms de ces écoles de pensée sont des dénominations crées lors de la période suivante, lors de l'ère Meiji, pour regrouper des auteurs aux idées parfois assez éloignées. Plus qu'une réalité historique ces noms d'écoles sont surtout représentatifs des représentations des premiers historiens de l'ère Meiji comme Inoue Tetsujirō ou Sōkichi Tsuda qui ont cherché à expliquer les débats intellectuels de l'époque d'Edo.
Références
modifier- James McMullen 2020, p. 25.
- James McMullen 2020, p. 27.
- James McMullen 2020, p. 28.
- James McMullen 2020, p. 29.
- James McMullen 2020, p. 30.
- James McMullen 2020, p. 31.
- James McMullen 2020, p. 32-42.
- James McMullen 2020, p. 43.
- Kiri Paramore 2016, p. 24-25.
- « Jukyō », Dictionnaire historique du Japon, vol. 10 (J), , p. 74-76 (lire en ligne, consulté le ).
- Kiri Paramore 2016, p. 20.
- Kiri Paramore 2016, p. 21.
- Kiri Paramore 2016, p. 18.
- James McMullen 2020, p. 44.
- James McMullen 2020, p. 45.
- James McMullen 2020, p. 46.
- James McMullen 2020, p. 47.
- James McMullen 2020, p. 49.
- James McMullen 2020, p. 50.
- James McMullen 2020, p. 51.
- James McMullen 2020, p. 52.
- Kiri Paramore 2016, p. 19.
- Kiri Paramore 2016, p. 22-23.
- James McMullen 2020, p. 53.
- James McMullen 2020, p. 54.
- James McMullen 2020, p. 55.
- James McMullen 2020, p. 56.
- James McMullen 2020, p. 59.
- James McMullen 2020, p. 61.
- James McMullen 2020, p. 63.
- Kiri Paramore 2016, p. 26.
- Kiri Paramore 2016, p. 27.
- Kiri Paramore 2016, p. 28.
- Kiri Paramore 2016, p. 29.
- James McMullen 2020, p. 65.
- James McMullen 2020, p. 67.
- James McMullen 2020, p. 67-68.
- James McMullen 2020, p. 69.
- James McMullen 2020, p. 70.
- James McMullen 2020, p. 71.
- James McMullen 2020, p. 72.
- James McMullen 2020, p. 84.
- James McMullen 2020, p. 84-87.
- James McMullen 2020, p. 74-77.
- James McMullen 2020, p. 88-93.
- James McMullen 2020, p. 95-100.
- James McMullen 2020, p. 100-101.
- James McMullen 2020, p. 102.
- James McMullen 2020, p. 106-108.
- James McMullen 2020, p. 110.
- James McMullen 2020, p. 112.
- James McMullen 2020, p. 115.
- James McMullen 2020, p. 116.
- James McMullen 2020, p. 118.
- James McMullen 2020, p. 120.
- James McMullen 2020, p. 121.
- James McMullen 2020, p. 122.
- Kiri Paramore 2016, p. 30.
- James McMullen 2020, p. 124.
- Kiri Paramore 2016, p. 31.
- Kiri Paramore 2016, p. 32.
- Kiri Paramore 2016, p. 33.
- James McMullen 2020, p. 125.
- James McMullen 2020, p. 126.
- James McMullen 2020, p. 128.
- Kiri Paramore 2016, p. 36.
- Federico Marcon, The New Cambridge History of Japan Volume 2 2023, p. 133.
- « Kogakuha », Dictionnaire historique du Japon, vol. 13 (K), , p. 17 (lire en ligne, consulté le ).
- Kiri Paramore, The New Cambridge History of Japan Volume 2 2023, p. 69.
- Kiri Paramore, The New Cambridge History of Japan Volume 2 2023, p. 68.
- « Yushima Seidō », Dictionnaire historique du Japon, vol. 20 (U-Z), , p. 119 (lire en ligne, consulté le ).
- Federico Marcon, The New Cambridge History of Japan Volume 2 2023, p. 140-141.
- Kiri Paramore 2016, p. 67.
- Kiri Paramore 2016, p. 73.
- Kiri Paramore 2016, p. 74.
- Kiri Paramore 2016, p. 75.
- Kiri Paramore 2016, p. 115.
Bibliographie
modifier- (en) Kiri Paramore, Japanese Confucianism : A Cultural History, Cambridge University Press, , 249 p. (ISBN 9781107635685, présentation en ligne). .
- (en) James McMullen, The Worship of Confucius in Japan, Harvard University Press, , 566 p. (ISBN 9780674237261, présentation en ligne).
- (en) David L. Howell (dir.), The New Cambridge History of Japan, vol. 2 : Early Modern Japan in Asia and the World, c. 1580–1877, Cambridge University Press, , 764 p. (ISBN 9781108417938). .