Antiferromagnétisme
L'antiferromagnétisme est une propriété de certains milieux magnétiques prédite par Louis Néel[1] en 1936. Contrairement aux matériaux ferromagnétiques, dans les matériaux antiferromagnétiques, l’interaction d’échange entre les atomes voisins favorise un alignement antiparallèle des moments magnétiques atomiques. Dans l'état fondamental, les moments magnétiques moyens sur les sous-réseaux distincts peuvent être non-nuls mais se compenser à l'échelle macroscopique. L'aimantation totale du matériau est alors nulle. On parle alors d'ordre antiferromagnétique ou ordre de Néel. Tout comme les ferromagnétiques, ces matériaux deviennent paramagnétiques au-dessus d’une température de transition, appelée température de Néel (versus température de Curie pour les matériaux ferromagnétiques ou ferrimagnétiques).
Du microscopique au macroscopique
modifierStructure cristalline et orientation de l'aimantation
modifierDans un matériau antiferromagnétique, on peut diviser la structure cristalline en plusieurs sous-réseaux de moments magnétiques moyens différents, mais dont la somme vectorielle est nulle :
Dans le cas simple d'un antiferromagnétique divisible en deux sous-réseaux A et B, les moments de ceux-ci sont exactement égaux et opposés en direction, soit :
Du point de vue de la mécanique quantique, on peut construite un état produit :
- ,
dit état de Néel[2]pour un Hamiltonien de Heisenberg décrivant des spins S avec interaction antiferromagnétique (J>0) :
- .
L'état de Néel réalise un ordre de Néel idéal, où le moment magnétique moyen sur chaque sous réseau a la valeur maximale permise par le spin S. Il s'obtient à partir de l'état ferromagnétique par une rotation de 180° des spins sur le sous réseau B autour d'un axe orthogonal à l'axe z. Mais contrairement au cas ferromagnétique, ce n'est pas un état propre exact du Hamiltonien . Il en résulte que même dans l'état fondamental les moments magnétiques d'un matériau antiferromagnétique présentent (sauf dans le cas d'interaction très anisotropes de type modèle d'Ising) des fluctuations quantiques qui peuvent se décrire à l'aide de magnons et qui conduisent à une réduction du moment moyen. Dans le cas unidimensionnel, ces fluctuations quantiques sont si fortes que l'ordre de Néel ne peut être réalisé même dans l'état fondamental[2]. Duncan Haldane a montré dans ce cas que la nature de l'état fondamental dépendait de la parité de . Lorsque est pair, l'état fondamental présente le Gap de Haldane, alors que si est impair, l'état fondamental est un Liquide de Luttinger de spin. Aussi, contrairement au cas ferromagnétique, la présence d'interactions d'échange antiferromagnétiques ne garantit pas la présence d'un ordre antiferromagnétique dans l'état fondamental. Il est seulement possible de montrer que l'état fondamental doit être un singulet de spin[3], ce qui n'est pas le cas de l'état de Néel . Toutefois, dans le cas tridimensionnel, en 1978, Freeman Dyson, Elliott Lieb et Barry Simon ont montré qu'à suffisamment basse température, sur un réseau cubique, avec des interactions entre sites premiers voisins, l'ordre antiferromagnétique était stable[4] pour un spin . En 1988, T. Kennedy, E. H. Lieb et B. S. Shastry ont pu prouver[5] que l'ordre antiferromagnétique était stable à basse température sur le réseau cubique tridimensionnel y compris dans le cas Dans le cas bidimensionnel, en utilisant une Inégalité de Bogolioubov, N.D. Mermin et H. Wagner[6] ont montré qu'en raison des fluctuations thermiques, il ne pouvait pas exister d'ordre de Néel au dessus du zéro absolu lorsque les interactions antiferromagnétiques sont isotropes. Au zéro absolu, il a été démontré que pour , l'ordre antiferromagnétique est stable sur le réseau carré[7]. Pour le cas , les simulations par la Méthode de Monte-Carlo quantique indiquent également un ordre de Néel au zéro absolu sur le réseau carré[8],[9]. Dans le cas de réseaux non-bipartites, il est possible de ne pas pouvoir trouver un état fondamental dans lequel toutes les interactions antiferromagnétiques sont satisfaites. On dit dans ce cas que les interactions sont frustrées. Dans un tel cas, l'état fondamental peut présenter l'hélimagnétisme ou être paramagnétique.
Interaction d'échange et influence de la température
modifierComportement physique global
modifierDans les matériaux présentant un ordre de Néel, la variation de la susceptibilité va être la conséquence d'une lutte entre l'énergie d'interaction d'échange et l'énergie provenant de l'agitation thermique. En dessous de la température de Néel, la susceptibilité devient anisotrope. Si le champ magnétique est appliqué dans une direction perpendiculaire à la direction dans laquelle les moments magnétiques sont alignés, ceux-ci peuvent s'incliner légèrement pour avoir une composante vectorielle alignée avec le champ magnétique. La susceptibilité ainsi obtenue est à peu près indépendante de la température[1]. Lorsque le champ est appliqué dans la même direction que les moments magnétiques, l'aimantation alignée contre le champ sur un des sous réseau diminue grâce à l'agitation thermique, tandis qu'elle augmente sur l'autre sous-réseau, ce qui donne une aimantation finie. Comme l'apparition d'un moment magnétique demande la présence d'une agitation thermique , et est une fonction croissante[10] de la température . À la température de Néel, . Au-dessus de la température de Néel ( ), l'agitation thermique est plus importante et les moments magnétiques si désordonnés que la susceptibilité diminue. Les considérations précédentes s'appliquent dans le cas d'un seul domaine
où le paramètre d'ordre de Néel est constant. Dans le cas d'une échantillon contenant de nombreux domaines, la susceptibilité magnétique sera une moyenne sur les orientations des différents domaines. Pour une distribution parfaitement isotrope des orientations des domaines en dessous de la température de Néel, on trouve une susceptibilité[10] moyenne .
On comprend donc la variation de la susceptibilité en fonction de la température, qui augmente du zéro absolu jusqu'à puis diminue.
Variation théorique de la susceptibilité magnétique au-dessus de la température de Néel
modifierSi au-dessus de la température de Néel TN, on considère qu’un antiferromagnétique est constitué de deux sous-réseaux ferromagnétiques, on montre d’après la loi de Curie-Weiss, que :
avec C la constante de Curie, et une constante de température positive et supérieure à TN.
La température de Néel
modifierOn rappelle que la température de Néel représente la température de passage du comportement antiferromagnétique au comportement paramagnétique d'un matériau antiferromagnétique. En supposant qu’un antiferromagnétique peut se décomposer en deux sous-réseaux A et B, le coefficient d’échange (lié à l'interaction d'échange) entre deux réseaux antiparallèles est donné par et par pour un échange dans un même réseau.
On peut montrer[11] que dans l'approximation du champ moyen la température de Néel vaut .
Démonstration : On a donc le champ magnétique total agissant respectivement sur A et B :
- ,
avec H le champ imposé au matériau, MA et MB respectivement le moment magnétique des sous-réseaux A et B.
Comme à la température de Néel, les propriétés paramagnétiques commencent à apparaître, on peut écrire :
- ,
avec la constante Curie telle que :
Donc à champ nul (H=0), si on injecte les formules du moment magnétique, on retrouve le système suivant :
- ,
Ainsi à champ nul (H=0), le système des deux équations linéaires précédentes a une solution telle que le déterminant des coefficients de celles-ci soit nul. Ainsi, la température maximale que l’on peut trouver est donnée par l’expression :
Ainsi en découle la température de Néel :
L'approximation du champ moyen prédit aussi une discontinuité de la chaleur spécifique à la température ainsi qu'une croissance de l'aimantation alternée comme . Au voisinage de la température de Néel, ce comportement de champ moyen n'est plus valide, et des exposants critiques identiques à ceux du ferromagnétisme sont obtenus pour la chaleur spécifique et le paramètre d'ordre. Cependant, les exposants critiques dynamiques de l'antiferromagnétisme et du ferromagnétisme sont dans des classes d'universalité distinctes[12].
Preuve expérimentale du comportement en température
modifierExpérimentalement, on peut mettre en évidence l'apparition de ce désordre magnétique (tendance des moments magnétiques à s'orienter aléatoirement) grâce à la diffraction de neutrons[13]. En effet, si les électrons peuvent diffracter selon la loi de Bragg grâce aux interactions électrostatiques des atomes dans les structures cristallines, on peut avoir une diffraction des neutrons par interaction des moments magnétiques, lorsqu'ils possèdent aussi un certain ordre. Ainsi, plus le matériau est ordonné, plus il comporte de plans de diffraction et donc un nombre de pics élevé en intensité en fonction de l'angle de diffraction. On rappelle qu'il y a diffraction lorsqu'on respecte les conditions de Bragg: ,
avec :
- dhkl: la distance entre les plans de la famille hkl,
- θ: l'angle incident du faisceau,
- λ: la longueur d'onde du faisceau
- n: l'ordre du plan diffracté
Ci-contre, on peut voir le résultat obtenu à partir d'un échantillon d'oxyde de manganèse et des neutrons monocinétiques de 0,074 eV, en fonction de la température. On voit bien qu'avec l'agitation thermique, les plans de diffraction changent et que moins de pics apparaissent, témoignant de la disparition de plans de diffraction et donc la disparition de l'ordre antiferromagnétique.
L'apparition de l'ordre antiferromagnétique peut aussi être mise en évidence par spectroscopie Mössbauer[14],[2], implantation de muons[15],[16],[17] ou par la Résonance magnétique nucléaire[17].
Influence du champ magnétique sur l'orientation des spins
modifierLa susceptibilité d'un antiferromagnétisme est faible. À titre d'exemple, elle est de 3,6 × 10−6 pour le chrome. La courbe de la valeur de l'aimantation M en fonction du champ magnétique H est différente selon l'angle entre les spins et H au début de l'application. Lorsqu'on augmente le champ magnétique, l'aimantation a tendance à s'aligner dans la direction du champ magnétique tandis que l'interaction d'échange s'y oppose. L'énergie d'échange est tellement grande qu'il faut appliquer un champ de plusieurs centaines de teslas pour saturer un matériau antiferromagnétique. Nous allons illustrer ce propos avec deux cas extrêmes : quand H est parallèle aux spins et lorsque H est perpendiculaire aux spins à une température donnée.
Quelques matériaux antiferromagnétiques
modifierDans le tableau périodique, le seul élément possédant des propriétés antiferromagnétiques à température ambiante est le chrome. Généralement, les antiferromagnétiques sont des céramiques composées de métaux de transition ainsi que d'oxygène, d'halogènes ou de chalcogènes. Le métal de transition forme le sous-réseau qui porte les moments magnétiques. L'interaction entre ces moments magnétiques est due au superéchange via les ions négatifs. En dessous de la température de Néel, le réseau portant les moments magnétiques se divise en deux sous-réseaux portant des aimantations opposées.
La table suivante donne quelques exemples de matériaux antiferromagnétiques avec quelques caractéristiques
Matériau | Réseau paramagnétique | Température de transition TN (K) | Température de Curie-Weiss θp (K) | Rapport θp/TN |
MnO | CFC | 116 | 610 | 5,3 |
MnS | CFC | 160 | 528 | 3,3 |
MnTe | Hex | 307 | 690 | 2,25 |
MnF2 | CC | 67 | 82 | 1,24 |
FeF2 | CC | 79 | 117 | 1,48 |
FeCl2 | Hex | 24 | 48 | 2,0 |
FeO | CFC | 198 | 570 | 2,9 |
CoCl2 | Hex | 25 | 38.1 | 1,53 |
CoO | CFC | 291 | 330 | 1,14 |
NiCl2 | Hex | 50 | 68.2 | 1,37 |
NiO | CFC | 525 | −2000 | −4 |
Eu3O4 | 5,0 | −5 | −1 |
Notes et références
modifier- Louis Néel, « Propriétés magnétiques de l'état métallique et énergie d'interaction entre atomes magnétiques », Annales de physique, vol. 11, no 5, , p. 232–279 (ISSN 0003-4169 et 1286-4838, DOI 10.1051/anphys/193611050232, lire en ligne, consulté le )
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Voir aussi
modifierBibliographie
modifier- Étienne du Trémolet de Lacheisserie[1], Magnétisme I fondements, laboratoire Louis Néel, Grenoble