Jean Piot (homme politique)
Jean Piot est un journaliste et un homme politique français, né le à Châlons-sur-Marne (Marne) et décédé le à Paris.
Biographie
[modifier | modifier le code]Fils d'un professeur de l'enseignement primaire, Jean Piot étudie au lycée de Laon. Il intègre en 1907 l'École normale supérieure. Il devient journaliste et collabore à la fondation de L'Œuvre, aux côtés de son directeur, Gustave Téry, normalien également et qui a été auparavant son professeur au lycée de Laon[1]. L’Œuvre est à ses débuts un « hebdomadaire nationaliste de tendance républicaine et vaguement socialisante », antisémite aussi[2]. Il se présente à Mamers aux élections législatives de 1914, à la veille du scrutin, contre Joseph Caillaux, par hostilité à son égard, avec l'étiquette de « républicain de gauche », mais il ne remporte que quelques dizaines de voix[3],[4].
Il est mobilisé comme simple soldat dans l'infanterie durant la Première Guerre mondiale, en revient avec le grade de lieutenant. Il a été trois fois blessé et six fois cité[1].
Il collabore ensuite à L'Œuvre, quotidien depuis 1915, et au quotidien Bonsoir, fondé par Téry en janvier 1919, pendant vespéral de L'Œuvre. Il en est un temps le rédacteur en chef, à partir de 1920[1], avant de devenir chef des services d'information de L'Œuvre[5]puis en 1924 rédacteur en chef de ce journal[6], remplaçant Robert de Jouvenel.
Après une tentative infructueuse en 1919 sur la liste du Bloc républicain de gauche[7] et une autre en 1928, à Paris, il est élu député de la Seine en 1932, battant Louis Delsol (qui l'avait battu en 1928) au second tour, et siège au groupe radical-socialiste[1],[8]. Il est vice-président de la commission d'enquête sur les évènements du 6 février 1934. Candidat du Front populaire en 1936[9], il est battu au second tour par le candidat des droites, Noël Pinelli.
Cet homme de gauche est dans la première moitié des années 1920 membre du comité central de la Ligue de la République, fondée en 1921 et présidée par Paul Painlevé, à l'instar de Gustave Téry, directeur de L'Œuvre, et de son rédacteur en chef, Robert de Jouvenel[10]. Il appartient aussi au comité exécutif de la Ligue des anciens combattants pacifistes au début des années 1930[11] et au comité central de la Ligue des droits de l'homme, à partir de 1938[12],[13].
Il reste rédacteur en chef de L'Œuvre, est partisan d'une ligne éditoriale pacifiste à la fin des années 1930[14],[15]. Durant la drôle de guerre, en avril 1940, il est nommé rédacteur en chef du « Radio-Journal » par le ministre Ludovic-Oscar Frossard[16],[17]. Après la défaite de juin 1940 et la mise en place du régime de Vichy, il est à nouveau rédacteur en chef de L'Œuvre, désormais dirigée par Marcel Déat, partisan de la collaboration. Il appelle à accepter la défaite et à construire « l'Europe » où l'Allemagne doit jouer « un rôle prépondérant »[18]. Il n'occupe cependant cette fonction que quelques mois : il doit la quitter sous la pression des Allemands en octobre 1940[19],[20].
À la Libération, la commission professionnelle d'épuration, composée de journalistes résistants, accepte de lui attribuer la carte de presse[21]. Il devient aussitôt rédacteur en chef du quotidien L'Aurore[22], qui occupe les locaux parisiens de L'Œuvre. Cette fonction dans un journal issu de la Résistance alors qu'il a un temps soutenu Déat en 1940 lui est reprochée, notamment par les communistes ou par Albert Bayet, ancien collaborateur de L'Œuvre, résistant, président de la Fédération nationale de la presse française[23]. L'Aurore et Piot s'en expliquent en septembre 1944[24]. L'Aurore est anticommuniste[25]. Piot se montre hostile à un nouveau Front populaire, aux communistes et à l'URSS dans ses éditoriaux[26].
Il conserve sa fonction de rédacteur en chef jusqu'à sa mort en 1948 mais une maladie l'éloigne de son métier et de son journal.
Témoignages
[modifier | modifier le code]Plusieurs anciens collaborateurs de Piot ont évoqué la période qui a suivi la Première Guerre mondiale. Henri Béraud, qui a travaillé sous sa direction à Bonsoir, dresse son portait dans Les Derniers Beaux Jours (Plon, 1953) :
« Long à n'en pas voir le bout, moulé dans un fourreau de parapluie, fendu comme un échassier, il arborait gravement, au ras des plafonds, une toute petite tête, coiffée jusqu'aux yeux d'un invariable feutre gris suède. Féru d'élégance britannique, habillé par le bon faiseur, toujours guêtré, (...) pince-sans-rire, buveur sans reproche, éternel gamin, notre Jean était de surcroit un authentique héros. Quand il revint du front, en uniforme, sa vareuse faisait penser à une palmeraie sous une constellation : six bananes, on ne sait combien d'étoiles, le tout récolté fusil au poing, sur le casse-pipe. Sa valeur morale égalait sa bravoure militaire. »
Henri Jeanson note quant à lui : « Jean Piot était revenu de la guerre avec deux ficelles, trois mètres de croix de guerre, de la Légion d'honneur, de la médaille militaire et la nostalgie du casse-pipe. Guerrier par tempérament, mais pacifiste par le cœur et la raison, il cherchait la solution à son problème dans la multiplication des apéritifs. Au demeurant le meilleur des rédacteurs en chef »[27]. André Guérin, ancien de L'Œuvre, normalien (1919), évoque le monde des normaliens au lendemain de la Première Guerre mondiale, nouveaux ou anciens, et présente Piot comme un « joyeux drille vociférant ». Piot est l'animateur d'un « club des Jacobins » dans un café de la rue Saint-Jacques fréquenté depuis l'avant-guerre par les normaliens :
« C'est même un « archicube », Jean Piot, rescapé de l'infanterie, cousu de blessures et de citations, qui est reconnu, en 1920, comme l'animateur incontesté. Il rédige en chef le journal Bonsoir avant de passer à L'Œuvre de Gustave Téry, connaît tout le répertoire du quartier qu'il entonne d'une voix à faire trembler le plafond, du reste peu solide, et ne se fait nullement prier, l'heure venue, pour monter sur une des tables de marbre et danser entre les piles de soucoupes une sorte de gigue espagnole bien à lui. Un maître. Qui finira, une nuit, au cours de ses exercices, par bel et bien se casser la jambe boulevard Saint-Michel, ce qui ne l'empêchera pas d'être élu député radical du XIVe arrondissement[28]. »
Le dessinateur Henri Monier l'évoque au sein de la rédaction de L'Œuvre : « Jean Piot, à 33 ans (...) est un grand garçon filiforme et truculent. (...) Il boit sec et parle haut. Le meilleur fils du monde, il pique des crises et, dans ce cas, ses vociférations front trembler les vitres et aussi l'échine du coupable. (...) Mais ces tempêtes ne durent pas. Vite, on revient au beau fixe car, de rancune, Piot n'eut jamais une once (...) C'est lui qui, dans une large mesure, donne la vie au journal. Il a le secret de la manchette percutante qui, mieux qu'un long papier, campe le climat du jour »[29]. Des échos fielleux publiés sous l'Occupation évoquent son alcoolisme[30].
Publications
[modifier | modifier le code]- Le village, Paris, E. Figuière, 1914, 259 p. (roman)
- Le monde des journaux : tableau de la presse française contemporaine (avec André Billy), Paris, G. Crès et Cie, 1924, 243 p.
- Comme je les vois, Paris, Éditions du Sagittaire, 1926
Distinctions
[modifier | modifier le code]Sources
[modifier | modifier le code]- « Jean Piot (homme politique) », dans le Dictionnaire des parlementaires français (1889-1940), sous la direction de Jean Jolly, PUF, 1960 [détail de l’édition]
Liens externes
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- Ressource relative à la vie publique :
- « Jean Piot », L'Aurore, 9 juin 1948
Notes et références
[modifier | modifier le code]- Dictionnaire des parlementaires français de 1889 à 1940 : biographie en ligne sur le site de l'AN (base Sycomore)
- Laurent Joly, « Les débuts de l’Action française (1899-1914) ou l’élaboration d’un nationalisme antisémite », Revue historique, 2006/3, no 639, Presses universitaires de France (ISBN 978-2-13-055606-0), p. 695-718 [lire en ligne sur Cairn.info].
- Jean-Claude Allain, Joseph Caillaux, vol. 1 : Le défi victorieux, 1863-1914, Paris, Imprimerie nationale, 1978, p. 180
- L’Intransigeant, 3 mai 1914, Ibid., 26 avril 1914, La Croix, 24 avril 1914
- L'Œuvre, 12 juin 1923
- L'Œuvre, 30 janvier 1924
- Serge Berstein, Histoire du parti radical, vol. 1 : La recherche de l'âge d'or, 1919-1926, Paris, PFNSP, 1980
- L'Œuvre, 9 mai 1932
- LŒuvre, 3 mai 1936
- Anne-Laure Anizan, « Médiatisation et vie politique sous la Troisième République. Painlevé, un parcours médiatique atypique ? », histoire@politique, 2013/3, n° 21.
- L'Œuvre, 24 février 1932
- Gilles Manceron, « La Ligue des droits de l’homme après 1940. Essai de périodisation et questions historiographiques », dans Matériaux pour l'histoire de notre temps, 2020/3-4 (Il fait partie d'une liste dressée par Émile Kahn en octobre 1944 et composée de onze membres du comité central que la LDH veut éliminer de ses instances en raison de leur conduite sous l’Occupation).
- Emmanuel Naquet, Pour l’Humanité. La Ligue des droits de l'homme de l’affaire Dreyfus à la défaite de 1940, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2014, p. 591
- DUBASQUE, François, Chapitre 11. Les derniers combats d’un homme politique dépassé ? In: Jean Hennessy (1874-1944): Argent et réseaux au service d'une nouvelle république, Presses universitaires de Rennes, 2008 (Lire en ligne)
- Jean Piot, « Ai-je le droit d'écrire ? », L'Aurore, 15 septembre 1944
- Jacques Parrot, La guerre des ondes : de Goebbels à Kadhafi, Plon, 1987
- « M. L-O Frossard réorganise la radiodiffusion », L'Œuvre, 9 avril 1940
- Jean Piot, « A un lecteur qui préfèrerait autre chose », L'Œuvre, 13 août 1940
- « Qu'est-ce que l'affaire Jean Piot ? »L'Aurore, 21 septembre 1944
- François Dubasque, op. cit.
- L'Humanité, 7 octobre 1944
- Robert Lazurick, « Jean Piot », L'Aurore, 6 juin 1948
- France-Amérique, 15 octobre 1944, L'Humanité, 20 septembre 1944
- « Qu'est-ce que l'affaire Jean Piot ? »L'Aurore, 21 septembre 1944, Jean Piot, « Ai-je le droit d'écrire ? », L'Aurore, 15 septembre 1944
- Christian Delporte, « Presse de droite, presse des droites à la Libération (1944-1948) », dans Gilles Richard et Jacqueline Sainclivier (dir.), La recomposition des droites : en France à la Libération, 1944-1948, Presses universitaires de Rennes, 2004
- L'Aurore, 1er novembre 1946, Jean Piot, « Le cheval de Troie », Ibid., 14 novembre 1946, Ibid.∞∞∞∞, 11 avril 1947, Ibid., 29 mai 1947, Ibid., 10 juin 1947, Jean Piot, « La France admettra-t-elle qu'un ukase de Moscou empêche de faire l'Europe ? », L'Aurore, 18 juin 1947, J. Piot, « Athènes, Washington et Moscou ou les démocraties devant le totalitaire », Ibid., 30 décembre 1947, L'Aurore, 24 février 1948
- Henri Jeanson, 70 Ans d'adolescence, Stock, 1971, p. 122
- André Guérin, « Jean Mistler et la promotion dix-neuf », La Revue des deux mondes, mars 1984, p. 594
- Henri Monier, À bâton rompu, Éditions Pierre Horay, 1954
- Je suis partout, 20 décembre 1941, « Les F-M à l'Appel. Les fraternelles d'arrondissement », L'Appel, 8 mai 1941, p. 6 : « Ils eurent, en 1932, pour député Jean Piot, rédacteur en chef de L'Œuvre, célèbre dans les milieux parlementaires et journalistique par sa « cuite » quotidienne, et maçonnisant de marque ».
- L'Œuvre, 25 décembre 1937 (Il est alors capitaine de réserve)